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Assis dans le salon de leur loft parisien, Cécile et Laurent (les personnes citées par leur seul prénom ont souhaité rester anonymes) discutent avec leurs filles, Adèle, 14 ans, et Jeanne, 18 ans ; le fils aîné, Simon, 21 ans, n’est pas avec eux, ce soir-là. Le Monde s’est immiscé dans leurs conversations pour savoir ce qu’avait changé le mouvement #metoo dans leurs relations familiales et en matière d’éducation. (…) Chacun tente de s’adapter aux sensibilités des autres, mais des frictions peuvent partir d’un rien. Les « mais tu ne peux pas sortir ­habillée comme ça ! » ont été accueillis par une fin de non-recevoir. « Tu m’obliges à intérioriser que je suis une proie et que c’est à moi de faire attention », a déjà entendu Cécile, alors qu’elle, adolescente, arborait fièrement un tee-shirt « attention fragile ». Pour sa fille, « insuffler la peur est déjà un instrument de domination masculine ». La quinquagénaire a reconsidéré son passé, mais aussi toute l’éducation qu’elle a pu donner à ses enfants. « Oui, j’ai pu valoriser la force de mon fils et la beauté de mes filles lorsqu’ils étaient plus petits »,analyse-t-elle, avec regret.

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Cette libération de la parole n’est pas sans créer des tensions, au sein des couples d’abord – les femmes qui ont témoigné estimant avoir évolué plus vite que leurs conjoints –, et au sein des familles lorsque les enfants deviennent grands. Les pères, notamment, sont régulièrement mis sur la sellette. Laurent D., père de cinq enfants, dont deux filles de 21 ans, le reconnaît avec un brin d’humour, malgré le « sujet sacrément sensible » : « Je suis un homme blanc, de plus de 50 ans, chef d’entreprise de surcroît. Dès que je rentre à la maison, je me sens coupable ! » Il juge « avoir perdu du crédit sur un tas de sujets »,car ses filles trouvent qu’il « ne sait pas de quoi il parle, car il ne peut pas l’avoir vécu ».

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Au-delà des questions autour de l’intimité et du respect de son propre corps, c’est sur le terrain des stéréotypes que les parents de plus jeunes enfants entendent modifier leurs pratiques. Maman de deux garçons de 4 et 9 ans, Chloé est fière des cheveux longs de ses garçons et de leurs goûts, qui vont au-delà des clichés filles-garçons. Elle estime « avoir évolué » entre ses deux enfants. « Autant, pour le grand, quand il est entré en maternelle et qu’il voulait acheter une gourde de princesse pour l’école, nous l’avons convaincu qu’il valait mieux une gourde Avenger, autant le petit, on l’a laissé choisir un casque de vélo rose bonbon pour aller à l’école. On lui attache les cheveux avec un élastique, on lui fait des couettes. J’aurais jamais osé faire ça avec mon grand », raconte-t-elle.

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Au sein même des familles, la prise de conscience des parents peut avoir un effet contre-productif.« Mais, maman, tu n’aimes pas les hommes, en fait ! », a déjà entendu Anne, « défenseuse des droits des femmes ­depuis toujours », de la part de son fils de 16 ans. Depuis, elle essaie de trouver le « bon équilibre » pour continuer à l’éduquer sur l’égalité femmes-hommes « sans finir par le braquer ». « Il faut parvenir à ne pas être trop en colère », analyse cette enseignante, mère également de deux filles plus jeunes. La colère domine souvent parmi les mères et les filles interrogées. Un sentiment qui n’est pas toujours simple à canaliser dans les relations familiales. Du haut de ses 18 ans, Jeanne s’agace ainsi lorsque ses parents la jugent « trop excessive ». Même si elle comprend et partage en partie ses irritations, Cécile, sa mère, aimerait parfois, dans un réflexe de protection, que sa fille regarde le monde « avec plus de douceur » pour ne pas qu’elle souffre trop.

Le Monde

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