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Alice Coffin, aujourd’hui soutien des “Hijabeuses”, scandait en 2004 “Non au voile”, le considérant comme un “symbole d’oppression” et signait dans Libération une tribune au vitriol sur les dérives de l’antiracisme

2022

2004

Je suis dépassée, hystérique, victimaire, stigmatisante, voire raciste, volontiers catastrophiste, et un tantinet néocolonialiste. Qui suis-je ? Une féministe de 25 ans. Fière de l’être mais malheureuse d’appartenir à une génération ingrate. (…)

Nous estimons qu’il y a urgence à connaître les acquis et les revendications féministes. Car le machisme (…) s’exerce désormais sous des formes beaucoup plus hargneuses, en plein espace public. (…) Les jeunes femmes sont ainsi fréquemment confrontées dans la rue ou les transports en commun aux regards libidineux ou haineux de certains hommes, voire de jeunes garçons, aux insultes ou parfois même aux crachats.

Le peu de soutien reçu par le projet de loi antisexiste est incompréhensible. Un pays où l’on entend des insultes comme « sale chatte », expression la plus en vogue du moment, doit se doter d’un arsenal législatif conséquent. (…)

Nous serions dépassées aussi, selon certains, parce qu’au regard des enjeux politiques actuels, le féminisme (…) deviendrait même une idéologie au service de la défense des intérêts occidentaux. Lorsque nous avons pris parti pour la loi contre le port des signes religieux à l’école et que nous dénoncions dans le voile un symbole d’oppression sexiste, nous avons rencontré l’hostilité des milieux d’extrême gauche qui nous ont reproché d’être « stigmatisantes », «racistes» ou «néocolonialistes».

Parce que nous sommes profondément et prioritairement féministes et que nous ne cédons pas devant les intimidations de ceux qui essaient de jouer sur notre culpabilité de femme occidentale, nous dénoncerons toujours les méfaits faits aux femmes au nom des cultures et des traditions. Nous luttons contre toutes les religions en général, lesquelles n’ont jamais aimé les femmes (toujours suspectées d’impureté, toujours diabolisées), pourquoi pas contre l’islam ?

Lorsque les milieux d’extrême gauche voient dans la communauté d’origine arabo-musulmane les nouveaux opprimés qu’il faut soutenir jusque dans leur repli religieux et traditionaliste, sans doute ne considèrent-ils pas que ce contre-modèle identitaire n’a rien à proposer si ce n’est une réelle oppression machiste. La forme la plus insidieuse, la plus sournoise du sexisme, est la forme antiraciste. Sous prétexte d’antiracisme et du respect des cultures, certains en sont venus à défendre l’excision, le port du voile, la polygamie. Là où leur antiracisme pèche, c’est que précisément ils pensent en termes de races et de catégories. Ce qu’ils jugeraient scandaleux pour eux-mêmes, ils le considèrent bon pour les autres. (…)

Autrefois, au nom de la priorité des luttes, une partie de l’extrême gauche dénigrait le féminisme. En attendant le grand soir, ce sont les femmes qui continuaient d’endurer une double oppression, sociale et domestique. Aujourd’hui encore, nombre de jeunes gens et de jeunes filles ont intériorisé ces réflexes bien-pensants, refusant de voir le sexisme quand il touche aux communautés issues de l’immigration, maghrébine notamment. «Chut, camarade, tu stigmatises !» Cette génération qui a grandi dans les années 80, les années Mitterrand, est une génération qui a été dressée à la culpabilité liée à la colonisation et à un antiracisme devenu vide de sens tant elle profère à tout bout de champ «raciste» et «facho» à ceux qui, humanistes, dénoncent l’oppression engendrée par les croyances et les traditions. (…)

Libération, 5 août 2004

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