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La pensée du « grand remplacement », propagée principalement par l’écrivain Renaud Camus, figure des milieux identitaires, et le candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle Eric Zemmour, ne repose pas simplement sur un délire démographique. Elle s’appuie sur tout un système de représentations, où s’entremêlent des sources clairement identifiables et un imaginaire plus diffus, constitué au fil des siècles et constamment revisité.

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La même « modernité » est à l’œuvre dans le livre publié par Eric Zemmour pour lancer sa candidature à la présidentielle, La France n’a pas dit son dernier mot (Rubempré, 2021). Il s’appuie notamment sur l’exemple du football pour tenter de prouver la pseudo-transformation démographique de la France. La « couleur de peau [des joueurs de l’équipe de France] n’était pas le sujet. Elle l’est seulement devenue parce qu’elle symbolise les bouleversements de la population française. Le nombre, le nombre, le nombre ». Il faudrait donc croire à une évidence numérique.

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1492 et la mise en place d’un ordre racial

L’année 1492 marque aussi le début de la conquête de l’Amérique aux dépens des peuples amérindiens, puis le développement sur ce continent de l’esclavage d’Africains.

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En avril 1968, lors d’une réunion locale du Parti conservateur, Enoch Powell, l’un des ténors de cette formation, prononce son fameux discours dit « des fleuves de sang ». Il affirme s’inquiéter de la possibilité que « d’ici quinze ou vingt ans, au rythme actuel, les immigrés du Commonwealth et leurs descendants seront 3,5 millions dans [le] pays ». Déjà, en certains endroits, « le sentiment d’être une minorité persécutée croît chez les Anglais ». Seule solution, la « remigration », ce que prônent aujourd’hui Renaud Camus et Eric Zemmour. Powell disait considérer l’avenir avec effroi, craignant de voir éclater la guerre civile, soit « le Tibre écumant de sang », dit-il en citant un vers de Virgile.

Ce discours, Renaud Camus, en a signé la préface dans la traduction parue en 2019 aux éditions de La Nouvelle Librairie (les extraits cités ont été traduits par nos soins). Camus voit en Powell un « formidable visionnaire », « un prophète », titre qu’il accorde également à Jean Raspail, auteur du roman apocalyptique Le Camp des Saints (Robert Laffont, 1973), qui imagine une submersion migratoire de la France. Le livre de Camus Le Grand Remplacement est d’ailleurs dédié à Raspail et à Powell.

Le député conservateur est cependant un étrange prophète, puisque son regard est plus rétrospectif que prospectif : son discours relance l’idée d’un ordre racial global sur le point d’être inversé. Il explique ainsi comment l’un de ses administrés lui a confié que bientôt « l’homme noir aura pris le fouet des mains de l’homme blanc ».

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C’est Alain de Benoist qui le premier va chercher chez Claude Lévi-Strauss (1908-2009) un refus du métissage, piochant principalement dans « Race et culture », sa conférence de 1971. Le grand anthropologue dit alors sa crainte de voir disparaître les nations amérindiennes d’Amazonie, qu’il a étudiées, si elles lient des contacts trop étroits avec le monde moderne, avec les autres peuples. Le théoricien de la nouvelle droite va appliquer ce raisonnement aux Européens.

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Le Monde

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