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Plus qu’une méthode d’apprentissage, le compagnonnage est une philosophie, une seconde famille qui forme des jeunes à l’artisanat d’exception. En France, il existe trois grandes entités de Compagnons : l’Union compagnonnique, créée en 1889, l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France, créée en 1941, et la Fédération compagnonnique, créée en 1952. Si leur objectif est le même – former des ouvriers à l’artisanat d’excellence tout en leur inculquant des valeurs fortes -, chacune a ses particularités. L’âge d’accès et les métiers enseignés diffèrent, tout comme les emblèmes.

Notre-Dame de Paris brûle. Le 15 avril 2019, les yeux du monde entier sont rivés sur le monument en flammes. Quatre ans et demi plus tard, à Saint-Laurent-de-la-Plaine, près d’Angers, la nouvelle charpente de la cathédrale prend forme. Parmi les artisans accourus de toute la France pour ce chantier hors norme, on croise des travailleurs d’exception. Martin Lorentz, charpentier en Dordogne, en fait partie. L’artisan de 38 ans est un compagnon. Ce qui le distingue des autres ? Sa méthode « à l’ancienne », précise celui qui est arrivé sur le site avec sa « douzaine de haches pour l’équarrissage de la charpente ». OEuvrer à la restauration de ce symbole national aura été un accomplissement pour ce passionné : « Cette charpente a toujours été très réputée chez les Compagnons. »

On entre dans le compagnonnage comme dans une confrérie : on observe des rites, on épouse des valeurs, on se plie aux traditions, au langage… Règle n° 1 : permettre à l’homme de s’accomplir dans et par son métier. Inscrit en 2010 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco, le compagnonnage français fascine. « L’employeur qui embauche un compagnon a toujours été sûr de la qualité de l’ouvrier », explique l’historien François Icher, spécialiste du sujet. Le compagnonnage « date de la fin du Moyen Âge », raconte l’expert. Il est souvent avancé que les Compagnons sont les héritiers des bâtisseurs des cathédrales, mais « cette affirmation demande à être fortement nuancée », ajoute-t-il. Il faut plutôt regarder du côté des corporations médiévales, des organismes qui regroupaient l’ensemble des membres d’une même profession. Il y avait les apprentis, les compagnons – l’appellation que l’on connaît aujourd’hui viendrait de là – et les maîtres.

Au sein de ces corporations, le jeune apprenti avait de grandes chances de devenir compagnon, mais peu parvenaient au grade supérieur. « Les nouveaux maîtres étaient les fils ou les gendres des maîtres », précise François Icher. Ce plafond de verre, considéré comme une « injustice », va pousser quelques ouvriers à s’émanciper de ce modèle. Désormais, ils ne seront plus sédentaires, affiliés à un maître toute leur vie, mais nomades, « pour découvrir de nouveaux univers, de nouveaux modèles et de nouveaux usages ». Surtout, leur modèle sera plus méritocratique.

Élite. Plus de 11 000 jeunes sont formés chaque année, au sein de l’Association ouvrière des Compagnons du devoir et du tour de France. Les tailleurs de pierre côtoient les maroquiniers, les pâtissiers, les charpentiers ou les mécaniciens. L’institution, d’abord exclusivement masculine, s’est ouverte aux femmes en 2004. Tous sont logés sous le même toit, dans l’une des 64 maisons des Compagnons réparties en France. Un monde à part qui perdure depuis des siècles. Devenir compagnon n’est pas une tâche facile : il faut d’abord être apprenti, puis aspirant. Avant d’accéder au Graal, le parcours peut durer dix ans. Tout le monde a le droit de tenter sa chance, il suffit d’avoir 15 ans… et d’être très motivé. Le comportement et l’envie d’apprendre priment sur les notes. Une méritocratie du geste. […]

Titouan Bourget, un jeune Normand de 18 ans, a rejoint les Compagnons après le brevet. « Je me suis rendu aux portes ouvertes à Caen et j’ai découvert la menuiserie. J’ai su que ça allait me correspondre. Le fait de voyager dans toute la France m’a tout de suite attiré. On nous parle de valeurs et d’excellence de vivre. Ça peut faire peur, mais moi ça m’a plu. » En deux ans de formation CAP, Titouan, apprenti, connaît deux entreprises dans deux villes différentes, chacune à une heure environ de son foyer. « Nous essayons de les faire commencer près de chez eux pour éviter que l’éloignement familial soit trop difficile », explique Quentin Bournazel, prévôt (directeur) de la maison des Compagnons de Paris. […]

« On passe entre cinq et dix ans de notre vie à voyager et à se construire, forcément, ça forge », explique Romain Bispels, 27 ans, compagnon charpentier depuis un an. Quitter sa famille n’a pas été un problème : « On peut quand même rentrer facilement. Ce n’est pas comme avant, où le tour de France se faisait à pied, précise le jeune homme. J’ai tellement de choses à raconter quand je rentre que je ne souffre pas du sacrifice. » Après le temps du voyage vient celui du chef-d’oeuvre. On appelle cela « tailler la réception ». De la reproduction d’un double escalier en pierre à l’élaboration de la carlingue d’un avion, les étudiants doivent le présenter devant des compagnons pour espérer rejoindre leurs rangs. […]

Plus encore qu’une méthode d’apprentissage, le compagnonnage est une philosophie, une famille, un corps. Les anciens emploient les aspirants compagnons ou créent des entreprises ensemble. « Il a bien fallu que des employeurs nous embauchent. On se doit de faire la même chose », souligne Aymeric, qui a monté sa boulangerie avec un compagnon boulanger. Les anciens peuvent également parrainer des aspirants. […]

Le Point

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