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Les sociologues Jérôme Ferret et Farhad Khosrokhavar, ainsi que le politiste Bruno Domingo estiment dans une tribune au « Monde » que prendre part à des mouvements de violence est pour certains un exercice qui relève davantage de la pulsion et d’un désir de reconnaissance que du geste politique.

Au gré de récents mouvements, la violence brute, voire absolue, s’est installée. Elle dispose d’un privilège chez certains des jeunes émeutiers, une minorité de « gilets jaunes » ou encore une partie des djihadistes européens et français, bien que ce soit pour ce dernier exemple sous une forme d’une intensité maximale.

Ces trois séquences historiques laissent aux observateurs le sentiment de faire face à des débordements incontrôlés de rage destructrice (visant non plus seulement des biens, mais aussi les personnes). Ses manifestations peinent à être saisies et se superposent dans nos imaginaires collectifs dans un enchaînement qui questionne la préservation de l’ordre public et les ressorts démocratiques de notre société.

Cette violence diffère de celle étudiée classiquement par les sciences sociales. Par exemple, le célèbre sociologue américain Erving Goffman (1922-1992) attribuait la violence au retour du stigmate (la société stigmatise un groupe dominé et celui-ci, par la violence, retourne le stigmate contre elle). Pour le philosophe français René Girard (1923-2015), c’est le désir mimétique qui est à la source de la violence et c’est un bouc émissaire, attirant sur lui la violence collective, qui permet finalement d’apaiser la société.  […]

Chez les émeutiers récents ou certains « gilets jaunes », il semble que la violence ait perdu tout sens politique, mêlant alors dynamiques pulsionnelles, désir de reconnaissance et de vengeance, frisson de l’émeute et appropriation consumériste. Cette violence est ainsi portée par un projet existentiel trouble : certains trouvant dans la destruction leur raison d’être, face à l’impossibilité de se construire.

Ici aussi, une anthropologie du néolibéralisme dans sa capacité à détruire les solidarités collectives peut apporter une part d’explication. Et une histoire spécifique intervient en France, imaginaire autant que réelle : la colonisation et la décolonisation violentes (notamment en Algérie), le sentiment d’avoir été berné, d’être sans une identité positive par rapport à celle des parents et à celle de l’avenir personnel (le non-avenir, l’ennui). […]

Or, à moins de changer fondamentalement de politique et de refaire le pacte social, de réinventer des formes de citoyenneté nouvelles qui prennent en compte ces subjectivités bernées, ce type de violence se reproduira dans l’avenir à l’occasion d’une violence de police ou d’un fait divers sortant de l’ordinaire. Quant à l’extrême droite, elle en sortira encore plus légitime que par le passé, car elle incarne l’ordre pour un nombre croissant de nos concitoyens.

Le Monde

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