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Alors que deux femmes ont récemment été condamnées par la justice française pour avoir rejoint les rangs de Daesh, l’essayiste Louise El Yafi explique que notre tendance à ne voir les femmes que comme des victimes nous a rendus borgnes face au phénomène djihadiste. Et que l’État islamique n’aurait jamais vu le jour sans elles. Mercredi 1er mars, Douha Mounib, surnommée la « sage-femme de Daesh », a été condamnée à 12 ans de réclusion criminelle. Vendredi 3 mars, c’était au tour d’Amandine le Coz, ancienne résidente du « Califat », d’être condamnée à dix ans de réclusion pour avoir rejoint les rangs de l’État islamique entre 2014 et 2018. Elle a reconnu durant son procès qu’elle voulait mourir « en martyr ». L’année dernière, les juges décidaient de condamner à 25 et 30 ans de réclusion criminelle Ornella Gilligmann et Inès Madani, participantes au commando féminin de Notre-Dame en 2016. Leurs comparses, Sarah Hervouët et Amel Sakaou, elles, ont écopé de 20 ans d’emprisonnement.

En août 2014, c’était plusieurs adolescentes, dont la plus jeune était âgée d’à peine 14 ans, qui étaient interpellées pour avoir formulé le vœu de tuer des juifs à Lyon. Et que dire de ces femmes-fantômes, tantôt sincèrement repenties, tantôt toujours convaincues de leur fanatisme, mais rapatriées parce que mères et à qui l’on donne désormais le nom révélateur de « revenantes » ? Toutes ces femmes, longtemps ignorées des policiers, des renseignements, des juges et de la société entière, sont devenues en l’espace au fil des années le visage du djihad au féminin. Et d’un coup, la réalité a fait surface : les femmes sont aussi dangereuses que les hommes. Certes il n’était pas chose aisée de le concevoir. Car ces femmes se sont engouffrées dans une idéologie dont on suppose qu’elle les hait. Elles ne pouvaient être qu’au mieux crédules et influencées, au pire malveillantes, mais toujours instrumentalisées. Dans une société où l’invisibilisation de la violence des femmes règne encore, comment aurions-nous pu imaginer que des femmes qui se sont elles-mêmes asservies représentaient un réel danger ? Que craindre de femmes qui ont fait le choix de la « servitude volontaire » ? C’est que notre a priori, emprunt d’une forme de sexisme, cette tendance à ne voir les femmes que comme des victimes, à ne considérer les hommes que comme des bourreaux naturels, nous ont rendus borgnes face au phénomène jihadiste. Or c’est bien sur cette moitié de jihad que le califat s’est reposé et sans laquelle il n’aurait jamais pu voir le jour.

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Pourtant l’accomplissement du jihad, selon la conception de Daesh, se fait par deux moyens : celui de l’épée, apanage des hommes puisque la femme n’a pas le droit de combattre hors situation de légitime défense, et celui de la transmission de l’idéologie à la oumma, « communauté des musulmans » qui doit constamment se démultiplier pour assurer une réserve de combattants au Califat. Ce dernier rôle revient à la femme. Car pour assurer la oumma, encore faut-il des oum (mères). Cette fonction de reproductrice éducatrice est considérée comme indispensable par Daesh puisque sans elle, il n’y a ni « lionceaux » du Califat, ni armement intellectuel de ces derniers pour les conditionner aux combats futurs. Ainsi l’écrit dans son pseudo-testament, Rachid Kassim, principal propagandiste de Daesh sur Telegram, commanditaire de la tentative d’attentat de Notre-Dame et décédé sur zone : « N’oubliez pas que ces femmes-là sont les lionnes de la oumma, que ces femmes-là vont éduquer ceux qui vont ouvrir Rome. Leur importance, vous ne pourrez jamais la saisir. Vous n’avez pas la capacité cérébrale pour saisir l’importance des femmes des mujahid. »

Comme me l’expliquait un magistrat instructeur du pôle antiterroriste de Paris : « Sans les femmes, il n’y aurait jamais eu de Califat. » Rien d’étonnant, donc, à ce que les autorités craignent que les combattants de Daesh, en train de reconstituer leurs forces, tentent de libérer les camps de femmes et d’enfants dont le camp Al-Hol, habité par plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, dont de nombreuses familles de jihadistes.

Reines en leur royaume

Ainsi, sous couvert d’infériorisation des femmes, l’État islamique, promet en réalité à ces dernières d’être reines en leur royaume. Et les témoignages de femmes revenues du jihad le confirment. Ainsi de Douha Mounib qui, durant son procès, s’est longuement expliquée sur son départ en Syrie qu’elle voyait comme une « émancipation ».

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Quant à la façon dont ces femmes sont perçues par la société, l’approche de certains reste différente de celle qu’ils confèrent aux hommes. Un article du Monde utilisait récemment le terme de « cœur simple » pour décrire Amandine Le Coz et la décrivait comme « victime de ses choix ». Si ce descriptif déresponsabilisant peut parfois s’approcher de la réalité, qui aurait osé parler ainsi d’un homme « revenant » ? Si l’homme fait le jihad avec une kalachnikov, la femme, elle, le fait avec son utérus et son verbe. Mais parfois, et nous l’avons compris trop tard, elle peut, elle aussi, prendre les armes. Ainsi parmi les femmes que la France a décidé de rapatrier, nous devons voir que toutes ne vont pas se rendre. Il y a aussi celles qui, ni soumises, ni manipulées, attendent leur heure. Nous ferions bien de nous en souvenir, sans déresponsabiliser les femmes. C’est aussi cela l’égalité.

Marianne

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