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Longtemps cité en exemple, le modèle socio-économique suédois bat de l’aile. L’extrême droite locale qui a fait une percée aux dernières élections accuse l’immigration de tous les maux du pays. Notre reporter Valérie Gauriat a cherché à savoir ce qu’il en est réellement.

Au nord de Stockholm, un pont inachevé est devenu le symbole d’une Suède de plus en plus rongée par les inégalités. Alors qu’il doit relier le quartier réputé difficile de Rinkeby à la commune voisine plus prospère de Sundbyberg, il représente la jonction entre deux réalités très contrastées dans le pays. L’ouvrage même a déclenché la colère de l’extrême droite suédoise qui craint de voir se propager la criminalité, qu’elle associe à l’immigration.

Mais quelle est la réalité sur place ? Je me rends à Rinkeby, secteur connu comme l’un des théâtres de la violence de gangs qui fait rage en Suède. Les crimes mortels y ont augmenté de près de 40%.

Clarissa Seidou patrouille chaque jour dans la zone. Elle a vu grandir de nombreux jeunes du quartier. Discutant avec deux d’entre eux qui passent dans la rue, elle leur fait remarquer : “Je ne veux plus aller à d’autres funérailles, j’en ai assez, trop de jeunes se font enterrer.” L’un d’eux lui répond : “Ils gagnent de l’argent avec la drogue ; ce qu’il faut, c’est du travail.”

On doit travailler ensemble, ça ne peut pas continuer, on ne peut pas laisser les jeunes ruiner leur vie, se faire tuer à 16 ou 20 ans,” lance la femme policier. “Les parents ne devraient pas avoir à enterrer leurs enfants,” renchérit-elle. “Ce sont les enfants qui devraient enterrer leurs parents,” affirme son interlocuteur. “C’est ce que je dis toujours,” renchérit Clarissa avant de les saluer et de les inviter à prendre soin d’eux.

La répression, dit Clarissa, ne suffit plus pour endiguer le phénomène des gangs. “On est obligé d’essayer de changer notre manière de travailler, de trouver une coopération entre le social, l’école et la police : sans cela, on ne va jamais réussir,” estime-t-elle.

Les saisies de drogue, d’argent et d’armes sont devenues quasi quotidiennes. “Les armes sont plus sophistiquées,” indique-t-elle devant un mur recouvert de photos d’armes sur lesquelles les policiers ont mis la main. “Il y a pas mal de pistolets, des grenades, des explosifs, un peu de tout,” dit-elle avant de montrer un Uzi et de s’interroger : “Les Uzi, on les trouve où en Suède ? Dans l’armée ! Les Kalashnikov, c’est dans l’armée, ce n’est pas ordinaire !” s’indigne-t-elle.

Ce sont des jeunes qui se tuent entre eux et pour eux, c’est normal, normalisé, ça ne veut rien dire,” ajoute Clarissa. “Ils prennent des contrats d’assassinat, ceux qui le font sont des jeunes de 14 à 16 ans, ils cherchent des contrats pour gagner un peu d’argent,” dit-elle.

Le gouvernement suédois a promis de durcir la politique migratoire et d’augmenter le nombre d’expulsions. Pour Clarissa, cela ne résoudra pas le problème. “Il faut un changement,” affirme-t-elle. “Que ce soit le gouvernement de l’extrême droite ou n’importe quel gouvernement, il peut ramener tous les étrangers, mais le problème est déjà là : la majorité de ces jeunes garçons qui sont des suspects sont nés ici, en Suède ; ce sont des Suédois, où vont-ils les renvoyer ?” s’interroge-t-elle.

Entré en force au Parlement en septembre dernier, le parti d’extrême droite des Démocrates de Suède a inspiré la ligne dure annoncée par le gouvernement de coalition en matière d’immigration. La cause de tous les maux du pays, assure Martin Kinnunen, député de la formation.

Aujourd’hui, 20% de la population suédoise sont nés à l’étranger, ils viennent de pays pauvres et n’ont pas d’éducation et cela a fait beaucoup augmenter l’inégalité de revenus en Suède,” déclare-t-il. “La politique d’immigration de masse menée depuis 30 ans en Suède a été dévastatrice pour la société suédoise et on a une situation difficile dans les écoles, du crime organisé et un taux de chômage élevé, il faudra du temps pour que ça s’arrange,” assure-t-il.

Je lui indique que la police nous a dit le matin même que la plupart des criminels sont nés en Suède, qu’ils sont suédois et qu’il ne s’agit donc pas de l’immigration récente. “Qu’importe d’où les gens viennent, s’ils commettent des crimes, il faut les mettre sous les verrous,” lance-t-il.

Je retourne à Rinkeby, en compagnie de Mustafa Andic. Chauffeur de taxi, il a grandi dans le quartier. Il nous emmène sur les lieux de son enfance. “Quand on a emménagé, les étrangers étaient bienvenus ; maintenant, c’est très différent,” assure-t-il. “C’est ce qui se passe quand on parque tous les immigrés dans une zone,” estime-t-il. “Il faut mélanger les gens pour que le système fonctionne et pour éviter les préjugés,” préconise-t-il.

Une ségrégation à laquelle pourra en partie remédier le nouveau pont qui doit être inauguré cette année. “Ce sera plus facile pour les bus et pour les gens qui vivent et travaillent dans cette zone, ils ne seront plus obligés de faire tout un détour,” dit-il estimant la situation actuelle “absurde“.

Mustafa me fait faire ce détour à bord de son taxi, pour rejoindre le quartier cossu de Sundbyberg, juste de l’autre côté du pont. C’est là qu’il vit aujourd’hui. Il a acheté cette maison quand il était entrepreneur, avant de changer de vie.

Plutôt que de débattre au sujet du pont, la classe politique doit s’attaquer aux problèmes qui, dit-il, poussent les jeunes vers la criminalité. “S‘ils ne trouvent pas de travail, si on ne leur offre rien, que peuvent-ils faire ? Ils doivent survivre !” lance-t-il. “S’ils avaient eu du travail et qu’on leur avait appris le suédois dès le départ, ils se seraient intégrés,” souligne-t-il.   […]

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