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« Une démonstration de force », tels étaient les mots de Wassim Nasr, journaliste de France24 et spécialiste des mouvements djihadistes, pour décrire le raid du 5 juillet dans les prisons de Kujé, aux portes d’Abuja, la capitale fédérale du Nigeria.

Tard dans la nuit, les insurgés de l’État islamique dans la province d’Afrique de l’Ouest (ISWAP) ont lancé une « attaque coordonnée sur trois fronts » contre la prison où les djihadistes étaient incarcérés depuis plus d’une décennie.

A l’issue de cette opération très audacieuse, qui a duré 50 minutes selon l’agence de propagande État islamique, entre 600 et 900 prisonniers ont été libérés, dont des dirigeants du groupe djihadiste au Nigeria.

Le porte-parole du service correctionnel nigérian, Umar Abubakar, a reconnu trois morts dans les rangs des forces loyalistes, deux policiers et un gardien de prison.

Selon Rida Lyammouri, chercheur principal au sein du think tank marocain Policy Center for the New South (PCNS), le raid, qui est « le premier revendiqué par l’État islamique (EI) dans la capitale et le plus sophistiqué en dehors de sa zone d’opérations habituelle dans le nord-est » du Nigeria, n’est qu’une illustration de la montée fulgurante du groupe djihadiste en Afrique ces dernières années.

En juin 2014, le « califat » a été proclamé par Abou Mohamed Al Adnani, alors porte-parole de l’État islamique.

Les premières allégeances africaines à cette organisation djihadiste dirigée au début par l’Irakien Abu Bakr al Baghdadi datent de la même année, avec l’affiliation de « Jund al Khilafa » (Soldats du califat) en Algérie, « Majlis Choura Chababal Islam » (Conseil consultatif de la jeunesse islamique) en Libye et « Ansar Bait al Maqdis » (Partisans de Jérusalem) en Égypte.

L’année 2015 a marqué l’adhésion du mouvement djihadiste en Afrique subsaharienne.

En mai de la même année, Abubakar Shekau, qui a pris le contrôle de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria après la mort de son fondateur en 2009, a prêté allégeance au groupe.

Au Sahel, des membres d’Al Murabitoune (Les Almoravides), un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), ont décidé de répondre à l’appel d’Al Baghdadi.

Poussée des provinces africaines

Avec la perte de ses territoires en Syrie et en Irak due à l’intervention d’une coalition internationale composée principalement de la France et des États-Unis d’une part, et des alliés de la Syrie comme la Russie et l’Iran, d’autre part, contre les djihadistes, l’État islamique a accentué sa politique d’expansion vers d’autres continents.

Ainsi, en 2019, une nouvelle province était en cours de création en Afrique centrale.

Dans cette région, les Forces démocratiques alliées (ADF) ougandaises ont revendiqué leur première attaque en République démocratique du Congo (RDC) sous la bannière de l’État islamique en avril 2019.

Deux mois plus tard, ils ont été suivis par « Ansar al Shabab » dans le nord du Mozambique, précisément dans la province de Cabo Delgado.

Dès lors, les activités du groupe djihadiste sur le continent africain ont grimpé en flèche.

« Depuis trois ans, les provinces officielles de l’État islamique se renforcent, notamment dans la région du lac Tchad et du Sahel », explique Damien Ferré, directeur de Jihad Analytics, une société spécialisée dans l’analyse du djihad mondial et cybernétique.

« Cela a été visible pour la première fois au niveau des médias, le groupe accordant une attention particulière aux opérations dans ces deux domaines, notamment via son hebdomadaire +al-Naba+. Par exemple, en 2021, +al-Naba+ a consacré 28 des 52 premières pages à l’Afrique, loin devant l’Irak, qui reste la province officielle la plus active de l’État islamique », ajoute Ferré dans une interview accordée à APA.

Selon ce spécialiste de l’État islamique, en termes d’opérations militaires, le nombre d’attaques menées par le groupe a considérablement augmenté au cours des 36 derniers mois, en particulier au Nigeria qui a progressivement connu la professionnalisation et la capacité de frappe de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISAW).

« Mais », dit-il, « c’est aussi le cas au Sahel et au Mozambique où le groupe a même réussi à tenir une ville pendant plusieurs mois. »

Qu’en est-il de l’ADF ?

« Entre 2020 et 2022, des activités liées aux Forces démocratiques alliées (ADF) ont été signalées en dehors de la République démocratique du Congo, notamment en Ouganda, où elles ont ordonné plusieurs attaques à l’engin piégé, et au Rwanda, où une dizaine de personnes liées aux ADF qui préparaient des attaques à Kigali ont été arrêtées », explique Fiston Mahamba Wa Biondi, journaliste congolais et spécialiste de ce groupe djihadiste.

Il note la professionnalisation du groupe depuis son allégeance à l’État islamique.

« Les combattants des ADF se sont alignés et ont été actifs comme d’autres mouvements internationaux lors des appels à l’action de l’État islamique. Dans le cadre de cette approche, les ADF ont mené la plus grande opération pour libérer des prisonniers, dont une centaine de leurs membres », explique Biondi.

Au Mozambique, la même logique est suivie par Ansar Al Sharia, qui, après l’offensive de mars 2021 qui lui a permis d’occuper pendant quelques jours la ville portuaire de Palma, à plus de 2 000 kilomètres au nord-est de Maputo, est apparue comme une menace réelle pour la sécurité de cette partie du pays et pour les investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures.

Au début, les autorités ne voulaient pas faire appel à l’aide étrangère pour faire face aux insurgés.

Mais ils ont fini par changer d’avis.

Le Rwanda et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont envoyé des troupes pour combattre les djihadistes.

Cette stratégie a porté ses fruits à court terme, car elle a permis de reprendre la ville de Mocimboa da Praia, contrôlée par les islamistes armés depuis un an.

Mais cela n’a pas mis fin à l’insurrection.

Les djihadistes viennent de revenir à leur jeu favori : la guérilla.

Se retirant dans la brousse, ils multiplient les attaques contre les civils et n’entrent en contact avec les forces armées que lorsqu’ils sont sûrs d’être victorieux.

Cette capacité de résilience a conduit à leur transformation en province en mai 2022, après une offensive contre l’armée mozambicaine à Quiterajo, dans la ville de Macomia, à 2 400 kilomètres au nord-est de Maputo.

Jusque-là, le groupe était rattaché à la province d’Afrique australe sous l’autorité du djihadiste congolais Musa Baluku.

« Ce que nous pouvons observer, c’est que depuis lors, il y a eu des changements intéressants. Pas tant en termes de tactiques et de capacités sur le terrain, mais en termes de propagande. Rien qu’au mois de juin, il y a eu vingt-deux (22) réclamations, ce qui est totalement sans précédent pour le Mozambique », a déclaré une source de sécurité.

La branche sahélienne de l’État islamique, qui était jusqu’en mars 2022, un démembrement de la province ouest-africaine, a reçu le même traitement, couvrant au moins trois pays, le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

Malgré la mort de son émir, Adnan Abou Walid al Sahraoui, lors d’une opération menée en août 2021 par l’armée Français dans le nord-est du Mali, non loin de la frontière avec le Niger, le groupe djihadiste tente de refaire surface avec une série d’attaques contre des civils et des mouvements touaregs pro-gouvernementaux.

Dans la nuit du 11 au 12 juin, la ville de Seytenga, dans la province de Séno, à 276 kilomètres au nord-est de Ouagadougou, a été la cible d’un attentat attribué aux djihadistes de l’État islamique.

Le bilan officiel était de 79 morts parmi les civils.

L’horrible attaque a également déplacé plus de 16 000 personnes au Burkina Faso.

Hommages et appels à la « hijra »

L’État islamique en Afrique de l’Ouest a été responsable de 305 attaques de janvier à juin 2022, selon un décompte analytique du djihad.

Cela fait de la province la plus active après l’Irak, qui a connu 337 attaques.

Jusqu’en avril, le Nigeria était la province la plus active avec un total de 162 attaques, devançant l’Irak de 38 points.

« Pour la première fois dans l’histoire du groupe djihadiste, l’Irak n’est plus le pays où l’Etat islamique revendique le plus grand nombre d’opérations », note Damien Ferré sur Twitter.

Ces « performances » ont valu aux djihadistes africains l’hommage de leurs « frères » dans d’autres provinces.

« Il est possible qu’en conséquence, il y ait un nombre accru de partisans étrangers de l’IE essayant d’atteindre les provinces africaines… », prédit-il.

Il y a déjà des appels en ce sens.

Vincent Foucher, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), évoque le sens de ce thème dans l’islam militaire.

« C’est un appel à rompre avec la société normale pour rejoindre les vrais croyants », explique ce spécialiste de l’Etat islamique dans la région du lac Tchad.

« Les nouveaux dirigeants de l’État islamique ont dû comprendre que déplacer l’attention de l’Irak et de la Syrie de manière officielle serait bénéfique pour sa présence dans le monde entier », décrypte Tomasz Rolbiecki, un analyste indépendant qui travaille également sur la région du lac Tchad.

« À mon avis, cela a un double objectif : se concentrer sur l’Afrique, qui a un réel potentiel pour le développement de l’IE, en particulier dans les zones où elle est déjà active, et alléger la pression sur la Syrie, où le groupe est traqué et attend des jours meilleurs pour rebondir », ajoute Ferré.

Mais ces appels devaient-ils être suivis d’effet comme ce fut le cas en 2015 après la désignation de Syrte, située à 400 kilomètres à l’est de Tripoli, en Libye, comme troisième capitale de l’organisation djihadiste, après Mossoul et Raqqa.

« Les flux, s’il y en a, seront principalement régionaux et pas forcément aussi importants que cela », explique Vincent Foucher, qui estime néanmoins que « la montée des franchises africaines de l’IE est encore laborieuse ».

APANews

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