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Un cercle vicieux.

La dégradation du cadre de travail conduit des soignants à partir, ce qui fait peser plus de charges sur ceux qui restent, et les fragilise un peu plus. « Dans les discussions de couloir ou pendant les pauses, c’est une question qu’on entend souvent : Tu restes, toi ? »
Clément Rozelle, 35 ans, médecin urgentiste, fait partie de ces soignants pour lesquels la réponse n’est plus évidente. « J’adore mon métier. Dans la réalité, soit je passe mon temps à chercher des lits, soit je gère des conflits. C’est un crève-cœur, pour moi qui viens d’une famille d’hospitaliers, mais j’ai le projet de partir d’ici à un an pour travailler en ville. »
Plusieurs services vitaux de l’hôpital d’Orléans ont subi des départs massifs. Ou ne parviennent plus à recruter, sauf des intérimaires ou des médecins étrangers, venus notamment des pays du Maghreb.

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Des dominos qui se font tomber

L’effondrement de la gériatrie a eu des conséquences sur les autres services. Beaucoup de patients qui arrivent aux urgences sont des personnes âgées. La logique médicale est de leur proposer une prise en charge gériatrique de courte durée. Mais, faute de lits disponibles, elles sont envoyées dans d’autres services.
L’effet est désastreux. D’abord sur les patients qui ne sont pas hospitalisés là où il faudrait. Ensuite pour les soignants de ces services, contraints, en urgence, de s’occuper de pathologies éloignées de leur spécialité. « Une partie du découragement vient de l’obligation de prendre en charge ces personnes âgées, alors que ça n’est pas leur mission première », reconnaît le directeur de l’hôpital, Olivier Boyer. « Le courage serait de dire à tout le monde qu’il faut remettre les choses à plat sur tout, avec la part des plus de 65 ans qui augmente dans la population », ajoute Willy-Serge Mfam, le chef du service de réanimation.
« Tout s’est étiolé. Aujourd’hui, on a le sentiment que le bateau coule, que la brèche a été ouverte » Bénédicte Colson, cheffe du service de gériatrie à l’hôpital d’Orléans.

Le Monde

L’hopital se meurt … guéri

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Normes de rationalisation comptable

Les dotations budgétaires furent remplacées par une tarification à l’activité (dite « T2A »), établie selon une analyse statistique du coût moyen des pathologies traitées. L’équilibre des dépenses par les recettes exigeait des choix de services rentables. Cette semi-privatisation encouragea le regroupement des établissements pour atteindre la taille critique. Dans cette logique, la fonction de directeur d’hôpital fut créée et la parité instaurée entre les médecins et les gestionnaires dans les instances de gouvernance. Renforcée par la loi de 2009, cette réforme a introduit la distinction qui est classique en entreprise entre l’encadrement administratif et les métiers opérationnels, en l’occurrence les soignants dont le travail fut régulé par les normes de rationalisation comptable dont les gestionnaires sont les garants.

La « modernisation » avait pour principe de limiter l’excès d’offre de services en examinant à la fois leur efficacité thérapeutique et leur soutenabilité économique, l’une et l’autre étant évaluées par des indicateurs. Pour contenir aussi l’excès diagnostiqué de demande de soins, le nombre d’étudiants en médecine fut limité (numerus clausus) à 7 500 par an entre 2010 et 2019. Parallèlement, les lois bioéthiques débattues entre 2004 et 2020 valorisèrent une médecine « moderne » basée sur le résultat clinique, plutôt que sur le soin inconditionnel au patient. L’exigence de performance prouvée in fine par la réalisation d’objectifs économiques atteint son but : le déficit de l’Assurance-maladie est repassé de 10 à 1 milliard d’euros entre 2010 et 2019.

Effets secondaires

Mais la thérapie eut pour contrepartie d’importants effets secondaires que connaissent bien les entreprises soumises à pareil régime : la normalisation et le contrôle des procédures alourdissent la bureaucratie et les systèmes d’information. En même temps, la demande de soins restant croissante, elle congestionne les services les plus sensibles, notamment les urgences : pour maintenir le rythme, le travail s’intensifie, burn-out et démissions se multiplient. Enfin, les organisations amaigries par une cure d’austérité sont moins résistantes en temps de crise : lorsque la crise due au Covid-19 éclate, l’hôpital suffoque et la pandémie réveille les plaies et les fractures créées et masquées par le succès de la « modernisation » : le financement de la santé a été sauvé, mais l’hôpital se meurt.

Le Monde

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