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Des conseillers d’Etat, « sonnés » au lendemain du premier tour, se rassurent en se disant que, contrairement aux préfets, ils ne seraient pas en première ligne, du moins pour quelque temps. Les questions se bousculent. Démissionner ? Pour « être remplacé par un zélote incompétent » ? Partir en bloc au risque d’ouvrir grand la porte à la politique du Rassemblement national ? Le souvenir de mai 1981 et du mouvement de panique chez certains fait désormais sourire. Le parallèle avec 1940 et Vichy, beaucoup moins. Quelques-uns se chargent d’ailleurs de rappeler que « pour punir le Conseil d’Etat d’avoir versé dans la Collaboration, De Gaulle nomma René Cassin, extérieur à l’institution, à sa tête ». Au Palais-Royal, l’épuration oublia pourtant un adjoint de Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, qui y dirigeait encore un bureau dans les années 1970.

Sauve-qui-peut.

Toutes les nuances de gris traversent la haute fonction publique mais elle est « archi majoritairement opposée à Marine Le Pen », assure Gilles Clavreul, lui-même issu de la préfectorale et cofondateur du Printemps républicain. Cela étant posé, quelle logique l’emporterait, une fois au pied du mur ? Celle de la loyauté envers l’Etat ? Celle du rempart qui, pied à pied, lutterait contre les atteintes à l’Etat de droit ? Celle du sauve-qui-peut général, les uns partant à la soupe quand les autres tenteraient de se recaser dans le privé ? Les esprits s’agitent dans une élite techno que la réforme Macron de la haute fonction publique a profondément ébranlée.

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Une des voix qui portent dans cet univers explique : « Rien ne servirait de démissionner. Il faudrait au contraire résister autant que possible, ne pas faciliter la tâche à l’adversaire, ne pas lui apporter sa tête sur un plateau, tout en sachant ne pas franchir la ligne rouge. Si Marine Le Pen accède au pouvoir, c’est d’abord sur le terrain politique qu’il faudra mener le combat ». Ces points sur lesquels il s’agirait de ne jamais transiger, chacun en dresse une liste différente. Sortir du commandement intégré de l’Otan, De Gaulle l’a déjà fait. Creuser les déficits budgétaires ne serait pas une première.

En revanche, introduire des discriminations entre Français et étrangers, supprimer l’aide médicale d’Etat et ne plus soigner des clandestins mettrait les fonctionnaires face à leurs responsabilités. « A un moment, la Direction de l’immigration sera confrontée à des commandes insupportables et n’obéira pas », prédit un sage du Conseil d’Etat. Les juges judiciaires auront des cas de conscience à appliquer des dispositions contraires aux engagements internationaux. Les préfets qui ont déjà l’expérience de travailler avec des élus locaux RN, jugeront vite sur pièce. « Un Robert Ménard ? Crédible. Un David Rachline ou Louis Aliot, beaucoup plus difficile », résume un des leurs.

« Si la nouvelle présidente voulait d’emblée frapper un grand coup et s’attaquer à la Constitution par le biais de l’article 11, elle trouverait Laurent Fabius en travers de son chemin », assure une constitutionnaliste. Les juristes savent cependant qu’un courant de pensée a grossi en leur sein. Celui de la « validation démocratique » des projets de l’extrême droite. Ses promoteurs jugent que « ni le droit, ni la jurisprudence européenne ne peuvent faire obstacle à la souveraineté populaire ». « Pour ceux qui y adhèrent, la candidature de Marine Le Pen n’est plus un épouvantail », s’émeut un de leurs collègues.

Une autre dimension n’est pas à négliger : la propension de l’administration à produire des textes, quelle que soit la commande. Plutôt que de s’interroger sur le fond, des experts de bureau se livreront à d’interminables joutes intellectuelles mais accoucheront du projet. Or, beaucoup du programme RN peut être lancé par la voie réglementaire.

Top-guns.

Les états d’âme des serviteurs de l’Etat dépendraient aussi des profils ministériels. « Un Ciotti à Beauvau, ce n’est pas un Gilbert Collard…», estime un préfet. « Des Rastignac, il y en a toujours mais des pointures pour piloter les grandes directions de l’Intérieur, de la Justice ou des Affaires étrangères, c’est autre chose, souligne-t-il. On se connaît tous, nous les 500 à 1 000 hauts fonctionnaires à qui il est possible de confier les clés du camion. Les gens susceptibles de travailler avec Marine Le Pen ne figurent pas parmi ces top guns. »

Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’Etat, a observé comment Viktor Orban s’y était pris. « Il a utilisé toutes les marges de manœuvre offertes. A force de patience, d’habileté et au prix de quelques crises avec l’Union européenne, lui, comme les frères Kaczynski en Pologne, sont parvenus à leurs fins. Ils se sont gardés de couper des têtes, mais ont utilisé à chaque fois leur pouvoir de nomination », constate-t-il. Ainsi les juges « hostiles » de la Cour constitutionnelle de Hongrie furent-ils méthodiquement remplacés.

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L’Opinion

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