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L’abbaye de cette commune de 1 500 âmes, située à 10 kilomètres de Limoges, n’avait plus hébergé de religieux depuis 1789. Mais la réinstallation d’une communauté de dix frères d’obédience traditionaliste passe mal auprès d’une partie de la population.

La foi s’effiloche, les vocations se raréfient, les monastères ferment, c’est entendu. Pas à Solignac (Haute-Vienne), où dix hommes en robe de bure ont officiellement pris possession, en novembre, de l’abbaye de cette commune de 1 500 âmes, située à 10 kilomètres de Limoges. Le site n’avait plus hébergé de moines depuis 1789. En chassant ses occupants, la Révolution française avait mis fin à onze siècles de présence bénédictine. La réinstallation d’une communauté contemplative au même endroit n’est donc pas un mince événement. Mais un événement qui passe mal auprès d’une partie de la population. Un comité d’accueil un peu spécial attendait les nouveaux propriétaires, le 28 novembre, pour la messe d’installation des moines, dans l’église collée à l’abbaye. A l’extérieur, une quarantaine d’opposants ont cogné des casseroles et brandi des slogans hostiles : « Non aux clôtures », « Touche pas à mon église communale »… Signée par 850 personnes, une pétition « antimoines » circule dans le canton. Alors que la salle des fêtes avait été réservée par les ecclésiastiques pour partager un « verre de l’amitié » après l’office, ceux-ci ont préféré se replier dans l’abbaye en chantant l’Ave Maria. Solignac, cet après-midi-là, avait des airs de Brescello, la cité de Peppone et Don Camillo.

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Les dix arrivants appartiennent, eux, à un monastère extérieur, l’abbaye Saint-Joseph de Clairval, dont le siège se trouve à Flavigny-sur-Ozerain (Côte-d’Or), à 400 kilomètres de là. Cet ordre de cinquante-six frères se sentait à l’étroit dans l’ancien séminaire diocésain de ce hameau bourguignon. Après avoir prospecté en Allemagne, en Espagne et jusqu’au Kazakhstan, la communauté a décidé, en juin, d’acquérir l’abbaye de Solignac – 10 000 mètres carrés de surface au sol – afin d’y délocaliser une partie de ses effectifs. Un « essaimage », dans le jargon religieux, négocié sous la forme d’une « vente à terme » sur quinze ans, avec mensualités. Aucun montant n’a été communiqué. Tout juste sait-on qu’en plus du cloître et des bâtiments conventuels, les nouveaux maîtres des lieux ont hérité de 2,7 hectares de prairie. C’est bien là le problème.
Situé entre les remparts de l’abbaye et la Briance, un affluent de la Vienne, ce terrain était jusque-là « prêté » à la mairie par le diocèse en vertu d’une convention signée en 2018. Les Solignacois s’y retrouvaient plusieurs fois par an pour un vide-grenier, une fête de l’huître, un marché de producteurs locaux… Aux beaux jours, les enfants du centre aéré venaient y gambader et prendre le goûter. Le diocèse a dénoncé le bail en septembre afin de restituer le terrain aux moines. « Ce ne sont pas des gens qui prennent des vacances au bord de la mer, justifie Mgr Bozo. Ils vivent là en permanence, ils ont besoin d’espace. » D’espace aussi pour
l’activité rémunératrice qu’ils entendent développer : maraîchage, miel et brassage de bière sont à l’étude.

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S’il n’exclut pas d’utiliser son droit de préemption sur la vente de l’abbaye et de ses terrains, l’élu ne le fera que « de manière symbolique » : les finances municipales ne pourront pas s’aligner avec le montant de la transaction déposée chez le notaire – au-delà du million d’euros, probablement. « Les moines ont réussi le tour de force de diviser le village », ne décolère pas Alexandre Portheault, en évoquant l’autre point d’achoppement : l’église, propriété de la commune depuis la loi de 1905. Construite au XIIe siècle, celle-ci est désormais le lieu de culte attitré des moines, qui y célèbrent sept offices par jour, de 5 h 30 à 21 h 30. La messe conventuelle, dite jusque-là par le curé André Vénitus, a été remplacée par une cérémonie mêlant canon en latin, chants en grégorien et lectures en français. Le virage – le « déplacement spirituel », atténue le père Vénitus – est radical pour les fidèles, invités à aller suivre une
messe « classique » dans les autres clochers de la paroisse. Ou à s’adapter à cette nouvelle liturgie.

Le Monde

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