Fdesouche

Quelque 110 personnalités, artistes, médecins, universitaires ou magistrats appellent, dans une tribune au « Monde », au rapatriement des enfants français et de leurs mères détenus dans des conditions désastreuses.

Tribune. Depuis plus de deux ans, près de 200 enfants français sont détenus arbitrairement avec leurs mères dans les camps de Roj et d’Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie. Les conditions de vie dans ces camps sont désastreuses et la situation n’en finit pas de se détériorer. Ces enfants français, dont la grande majorité a moins de 6 ans, portent les stigmates de leurs blessures et de leurs traumatismes. Ils ne bénéficient d’aucun soin approprié et ne sont pas scolarisés.

De nombreux observateurs et ONG font état depuis des années de cette situation profondément attentatoire aux droits humains. Le 8 février dernier, une vingtaine d’experts indépendants des droits de l’homme auprès des Nations unies ont appelé à une action immédiate pour « prévenir des dommages irréparables aux personnes en situation vulnérable qui y sont détenues » et ont relevé qu’« un nombre indéterminé de personnes sont déjà mortes à cause de leurs conditions de détention ».

Mme Fionnuala Ni Aolain, rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a déclaré que « l’existence de ces camps entache la conscience de l’humanité ». Dans son rapport du 17 février intitulé « Europe’s Guantanamo », l’ONG Rights and Security International (RSI) décrit avec précision l’état de santé dégradé et les profonds traumatismes de ces enfants laissés sans soins.

Traitements inhumains

L’Unicef, le Comité international de la Croix-Rouge, le haut responsable de l’ONU M. Panos Moumtzis, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Mme Dunja Mijatovic, et la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, ont tous appelé au rapatriement de ces enfants dans leur intérêt supérieur. En France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Défenseur des droits ont adopté la même posture, sans que l’exécutif ne se décide à reconsidérer son refus catégorique de rapatrier ces enfants et leurs mères.

Aux conditions de détention indignes s’ajoutent les traitements inhumains et dégradants auxquels ces enfants doivent faire face. Ils ont interdiction de parler avec leurs familles, et l’accès aux camps est interdit aux familles françaises et aux avocats. Ces femmes et ces enfants ont tous ou presque été incarcérés dans une prison souterraine située près de Qamishli et sont restés entassés dans des cellules de quelques mètres carrés, sans pouvoir ni se laver ni manger à leur faim, durant des semaines et parfois des mois.

« Ces enfants sont innocents. Ils n’ont pas choisi de partir en Syrie ni de naître en zone de guerre ou dans ces camps »

Ces enfants sont innocents. Ils n’ont pas choisi de partir en Syrie ni de naître en zone de guerre ou dans ces camps. Ils sont des victimes que la France abandonne en leur faisant payer le choix de leurs parents. Laisser périr ces enfants dans ces camps est indigne de notre Etat de droit et contraire à nos engagements internationaux. Les rapatrier sans leurs mères, comme le souhaiteraient certains Etats, ne répond pas à l’intérêt supérieur de ces enfants. Ces femmes ne peuvent de toute façon être jugées qu’en France et doivent répondre de leurs actes devant les juridictions antiterroristes françaises chargées de leurs dossiers. Récemment encore, les autorités kurdes ont rappelé qu’elles ne pouvaient ni ne voulaient les juger, et ont exhorté les Etats étrangers à rapatrier ces enfants avec leurs mères.

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie du cas de trois enfants français et de leurs mères détenus arbitrairement dans les camps du Nord-est syrien, siégera le 29 septembre prochain en Grande Chambre. Le Parlement européen a, quant à lui, voté une résolution en février dernier appelant au rapatriement de tous les enfants européens dans leur « intérêt supérieur ». La Belgique, la Finlande et le Danemark ont rendu publique leur décision de rapatrier l’ensemble de leurs ressortissants, et l’Allemagne et l’Italie ont d’ores et déjà commencé à rapatrier des enfants et leurs mères. Les Etats-Unis, la Russie, le Kosovo, l’Ukraine, la Bosnie, l’Albanie, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont rapatrié ou rapatrient actuellement leurs ressortissants.

Nous appelons la France à rapatrier immédiatement ces enfants français qui, victimes de traitements inhumains et dégradants, périssent à petit feu dans les camps syriens.

Premiers signataires : Ariane Ascaride, comédienne ; Thierry Baranger, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Paris et Bobigny ; Rachid Benzine, écrivain, islamologue ; Sandrine Bonnaire, actrice ; Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières (MSF) France ; Jean-Charles Brisard, président du Centre d’analyse du terrorisme ; Elie Chouraqui, réalisateur et producteur ; Costa-Gavras, réalisateur ; Boris Cyrulnik, psychiatre ; Marie Darrieussecq, écrivaine ; Vincent Dedienne, acteur, auteur, metteur en scène ; Claire Denis, réalisatrice ; Marie Desplechin, écrivaine ; Anny Duperey, actrice ; Nicole Ferroni, actrice, humoriste, chroniqueuse ; Audrey Fleurot, actrice ; Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies, secrétaire général de l’Institut français des droits et libertés ; Julie Gayet, comédienne ; Susan George, politologue, écrivaine franco-américaine ; Robert Guédiguian, réalisateur ; Mia Hansen-Love, réalisatrice ; Adeline Hazan, magistrate, ancienne contrôleuse des lieux de privation de liberté, conseillère spéciale auprès du président d’Unicef France ; Serge Hefez, psychiatre, psychanalyste ; Nicolas Hénin, journaliste, ancien otage de l’organisation Etat islamique ; Camille Laurens, écrivaine ; Henri Leclerc, avocat honoraire, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme ; Claude Lelouch, réalisateur ; Corinne Masiero, actrice ; Ariane Mnouchkine, metteuse en scène de théâtre ; Laure Murat, historienne, écrivaine, professeure à l’université de Californie à Los Angeles ; Eric Ouzounian, journaliste, écrivain, père d’une des victimes de l’attentat du Bataclan ; Raphaël Pitti, médecin général des armées ; Jean-Michel Ribes, metteur en scène et auteur ; Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’homme ; Georges Salines, ancien médecin de santé publique, membre de l’Association française des victimes du terrorisme, père d’une des victimes de l’attentat du Bataclan ; Bruno Solo, acteur ; Philippe Torreton, acteur ; Marc Trévidic, président de cour d’assises, ancien juge antiterroriste ; Zahia Ziouani, chef d’orchestre.

Le Monde

Fdesouche sur les réseaux sociaux