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REPORTAGE – Scruté par des observateurs inquiets de voir émerger un nouveau nazisme, le réveil identitaire des Allemands de l’Est a pris de l’ampleur avec la crise des migrants. Sur les terres saxonnes de l’ancienne Allemagne communiste, la rupture avec les élites de l’Ouest est consommée.

Envoyée spéciale en Saxe

«Vous en tant que Française, vous avez déjà chanté votre hymne national, non?» Eugen Von Bruhne, la cinquantaine, a posé la question à brûle-pourpoint, lors d’un entretien qui se tient à Dresde fin décembre, juste avant Noël, au bar de l’hôtel Vienna House. «Il y a dix ans, ici, on aurait été cloué au pilori pour une telle question! Mais depuis les manifestations du mouvement Pegida en 2014, les Allemands se remettent à chanter leur hymne. Ils ont compris qu’il y a quelque chose de plus que leur petite ville, qu’il y a une grande nation et qu’ils ont le droit de ne pas avoir honte», déclare-t-il. «On ne parle que des douze ans d’hitlérisme. Mais il y a eu autre chose dont nous pouvons être fiers dans notre histoire, non? Il faut se souvenir du nazisme, mais pas tous les jours. Sinon le pays se rend malade», plaide-t-il encore.

Ces mots qui, clairement, bouillonnaient dans sa poitrine, expriment la force émotionnelle qui nourrit la lame de fond du «réveil identitaire allemand» dans les terres saxonnes de l’ex-Allemagne de l’Est.

En septembre, avant les législatives, la presse occidentale disait «la reine Merkel» imbattable et l’avait couronnée «leader du monde libre». Mais tout a vacillé. Merkel et la CDU ont essuyé une claque politique majeure, de même que les sociaux-démocrates du SPD, défaites qui forcent aujourd’hui ces deux grands partis à négocier les termes d’une coalition dont on se demande si elle sera viable. Surtout, un nouveau parti a surgi, atteignant plus de 12,6 % des voix – score sans précédent depuis 1945 pour une formation qui revendique un nationalisme sans complexes. Ce résultat lui a permis d’aligner 92 députés au Bundestag et de placer sous les projecteurs une Allemagne jusqu’ici silencieuse et occultée. Celle d’Eugen Von Bruhne, qui se définit comme «un patriote, pas un extrémiste». «Ceux qui ne voient pas les problèmes dorment!», dit-il à propos du 1,2 million de réfugiés qui sont entrés en Allemagne en 2015, processus qui continue au rythme de 200.000 par an. (…)

Hilze, qui fait ses premiers pas en politique après une vie consacrée au maintien de l’ordre, nous montre de petits blocs de béton installés autour de la place illuminée pour prévenir d’éventuels actes terroristes semblables à l’attaque du marché de Berlin de 2016. «On appelle ça les blocs Merkel, parce qu’ils ne peuvent rien arrêter», dit-il ironique. L’ancien flic estime qu’«au moins 80 % des policiers d’Allemagne ont voté AfD», parce qu’«ils voient la réalité se dégrader». «Entre le virage à gauche de la CDU, la vague des migrants et le politiquement correct des médias, j’étais en colère», raconte ce grand homme mince à l’allure juvénile, 53 ans, qui gagna jadis le concours de mannequinat de «M. Brandebourg». «Ma femme m’a dit: “Arrête de protester depuis ton canapé. Engage-toi”. Alors, je me suis rendu à plusieurs meetings de Pegida (mouvement de protestation contre l’islamisation du pays, NDLR) et j’ai découvert des gens normaux, qui veulent juste que les choses changent! Pas du tout les fascistoïdes que dépeignent les médias et qui sont une petite minorité!» Il a fini par adhérer, avant même que la grande vague d’immigration de 2015 suscitée par la crise syrienne n’offre son meilleur cheval de bataille à l’AfD. «Mes amis français m’ont demandé si l’Allemagne avait perdu la tête, quand Angela Merkel a décidé d’ouvrir les frontières sans condition», dit Hilze.

Le député raconte venir d’une petite ville, Hoyerswerda, productrice de lignite, où la situation économique s’est drastiquement détériorée depuis la réunification. «Les usines ont fermé, il y a beaucoup de chômage… et puis d’un coup, tous ces migrants. Dans les trois maisons de demandeurs d’asile, où nous accueillons un millier de réfugiés, il y a énormément de problèmes tus par les médias, affirme Karsten. Beaucoup de migrants n’ont aucune gratitude envers l’Allemagne. Certains sont violents. Récemment, une policière qui demandait ses papiers à un réfugié qui avait volé dans un magasin s’est vue insultée et attaquée à coups de pierre. L’épisode a tourné à l’émeute et des dizaines de policiers ont dû contenir une soixantaine de migrants qui ont cassé et jeté par les fenêtres de la maison d’asile tout ce qui leur tombait sous la main! Certains sont très corrects mais beaucoup ne respectent pas les femmes!»

Hilze et Von Bruhne estiment qu’il faut réévaluer le rôle de l’Union européenne. «L’Europe des patries de De Gaulle et d’Adenauer, voilà le modèle, au lieu du monstre administratif actuel», dit Karsten. Il soutient la volonté des Hongrois de défendre leur frontière. «N’oubliez pas qu’ils ont vaincu les Turcs à Vienne, il y a 300 ans. Ils veulent préserver leur identité chrétienne!»

(…) Les Sudètes sont à une centaine de kilomètres. La Pologne à une heure de route. Majgorzata dit que dans le coin, «les gens ont l’impression que l’UE n’écoute que le couple franco-allemand, et pas assez l’Europe centrale et son souci de souveraineté». «Est-Allemands et Polonais veulent avoir leur mot à dire sur la crise migratoire ou la construction de l’Europe», insiste-t-elle, décrivant une révolte, en forme de matriochka, où le divorce qui s’opère entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest, fait écho à celui qui gronde entre Dresde et Berlin.(..

Jeff Gedmin, le chercheur américain, dit que cette contestation du statu quo venue de Dresde, n’est pas nécessairement une mauvaise chose, et pourrait même être «une chance pour un renouveau démocratique», si on sait «écouter les voix populistes décentes et les prendre en compte», au lieu de les abandonner aux «vrais extrémistes en embuscade». Alors que Berlin la libérale continue de voir l’ex-RDA comme un coin arriéré, lui est persuadé que «Dresde est un incubateur». Son hypothèse, à rebours des analyses dominantes, est que «la question de la patrie, de l’Heimat, va se propager aux autres régions de l’Allemagne et changer à terme la donne politique». Il estime qu’«Angela Merkel n’est sans doute plus qu’une couverture de sécurité représentant un ancien monde qui s’en va».

Le Figaro

Merci à valdorf

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