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Tribune de Patrick Savidan , professeur de philosophie politique à l’université de Poitiers, président de l’Observatoire des inégalités, sur les formes possibles de solidarité, identitaire ou libérale. Il s’interroge sur la possibilité d’une alternative.

Emmanuel Macron a pris un engagement fort lors de son discours du Louvre. S’adressant aux électeurs de Marine Le Pen, il a déclaré qu’il ferait tout «pour que, dans les cinq prochaines années, ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes».

[…] Avec le renforcement de la perception des injustices sociales ambiantes, les riches et les plus défavorisés tendent à devenir plus conservateurs sur le plan social. Ce conservatisme peut prendre différentes formes cependant et tendre dans deux directions distinctes qui semblent en passe de s’imposer comme les termes principaux d’une unique alternative en matière de solidarité.

Dans un cas, ce conservatisme consiste à penser que le maintien d’un Etat véritablement protecteur suppose un repli sur des formes identitaires de solidarité. La résurgence de la question des frontières, dans le cadre de la campagne présidentielle, peut aussi se comprendre ainsi. S’inscrivent dans cette optique plusieurs propositions du FN, tel que le projet de taxe additionnelle sur l’embauche de salariés étrangers présenté comme devant assurer la «priorité nationale à l’emploi des Français» ou la volonté de mettre en place un «délai de carence» de deux ans au bout duquel les étrangers nouvellement installés en France auraient droit aux prestations sociales, qu’ils aient un emploi ou non (proposition aussi défendue par Les Républicains). Cette évolution témoigne d’un durcissement généralisé des attitudes à l’égard des plus fragiles, d’un désir d’externaliser la précarité en la faisant peser sur plus fragiles que soi ; cela prend notamment la forme d’une sorte de tri que certains voudraient opérer sur la base de critères douteux entre ceux qui méritent l’assistance et ceux qui ne la mériteraient pas. Dans le cas du FN, la réduction de l’extension de la solidarité passe par une ethnicisation des critères d’éligibilité, sur fond de suppression du droit du sol.

Dans l’autre cas, on assiste à une réduction non pas de l’extension de la solidarité, mais de son intensité. Cette orientation s’articule assez naturellement à une politique économique de soutien apportée à l’offre, avec une insistance particulière sur les thèmes de la compétitivité, de la flexibilité et de la responsabilité. Elle s’est peu ou prou incarnée à travers les différentes moutures de la dite «troisième voie», chère au New Labour de Tony Blair, au SPD de Gerhard Schröder, et au sociologue Anthony Giddens. […] L’insistance naïve de ce libéralisme individualiste sur les vertus de la responsabilité et du mérite personnels, dont il serait pourtant bien en peine de dire ce qu’ils sont indépendamment de tout cadre institutionnel, a ainsi contribué à un affaiblissement de la protection sociale, à une fragmentation de la relation d’emploi et à une augmentation de la précarité. Elle a permis le renforcement des protections dont peuvent jouir ceux qui parviennent à trouver leur place dans les processus mondialisés de la croissance et accru la vulnérabilité de ceux qui s’en font déloger ou ne peuvent s’y maintenir ou y pénétrer qu’en acceptant des conditions de travail et de rémunération inacceptables. […]

Prisonnier de cette alternative, le débat nécessaire sur les inégalités et les formes nouvelles des politiques de la solidarité peut difficilement s’engager. On peut le regretter et espérer qu’il ne soit pas trop tard. […]

Libération

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