Chronique de Benoît Hopquin, journaliste au Monde, intitulé “Foule sentimentale”.
On est foule sentimentale. On a soif d’idéal. On entendait par hasard la chanson d’Alain Souchon, l’autre tantôt à la radio. Juste observation. Bien visé. En plein cœur. Mais bon sang qu’il est dur, en ce moment, de fredonner ce refrain, même seul sous la douche ! Où sont les idéaux à la source desquels on aimerait tant s’abreuver ? Qu’ils semblent loin les lendemains qui chantent. Qu’elles semblent périmées les envolées lyriques, type « I have a dream ». Ou même « Moi, président »… Et on ne vous parle pas de la romance à l’eau de rose « Liberté, Egalité, Fraternité » : elle semble réservée aux seuls frontons des mairies, cette si jolie ritournelle. […]
« La France s’ennuie », écrivait Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde en mars 1968. En ce printemps 2016, elle déprimerait carrément qu’on n’en serait pas autrement surpris.
Il y a même dans le fond de l’air, dans cette sinistrose ambiante, quelque chose de plus inquiétant encore. Comme une envie de vider l’abcès une fois pour toutes, d’en découdre coûte que coûte, de régler ça sur le pré avec l’autre, avec l’Autre, puisqu’il est un ennemi capital. Il traîne dans l’éther national quelque chose d’étouffant. Pour dire le fond de sa pensée se respirent d’alarmants remugles de guerre civile. Ou plutôt de guerre de religion.
L’idée que les musulmans ne sauraient en aucun cas se fondre dans la République rejoint un autre rejet, moins visible mais tout aussi prégnant et dramatique. Il suffit pour le discerner de taper kouffar (« mécréant ») sur Google. C’est la porte d’entrée à un monde d’altérité méprisant, et parfois de haine. Préoccupant, et sans doute symptomatique, de voir comment ce terme, jusque-là réservé au vocabulaire djihadiste, est en passe d’intégrer le domaine courant, dans les cités et au-delà. Tout ça ne fleure pas bon, décidément, et donne raison aux marchands de cynisme, aux chasseurs de chimères. […]
