10/10/2015
Quelques extraits des propos de Jacques Julliard, historien et journaliste, spécialiste de l’histoire du syndicalisme et de la gauche française face à Patrick Weil, spécialiste de l’histoire de l’immigration en France.
La France doit-elle rester fidèle à son modèle, celui d’un pays unitaire, intégrateur, laïque, universaliste, ou bien cette identité n’est-elle à chaque instant que la résultante des diverses communautés installées sur son sol ? Melting-pot ou communautarisme ? (Jacques Julliard)
Jacques Julliard : Je suis nettement moins optimiste que Patrick Weil que j’aurais tendance à taxer d’angélisme, parce que, pour ne pas être destructrice de l’unité de la République, sa diversité me pose beaucoup de questions et les exemples auxquels il recourt ne me convainquent pas. Il dit que les Algériens, à la différence de Hongrois ou de Polonais, sont arrivés en France à partir de 1962 avec l’impression de rentrer chez eux. C’est tout le contraire.
Pendant la révolution du FLN, l’insurrection s’est faite contre l’idée de l’Algérie française. Vous ne pouvez pas à la fois donner acte aux Algériens de leur révolution contre l’Algérie française et en même temps faire des Algériens qui viennent en France des partisans de cette Algérie française. Il y a bel et bien eu une rupture que l’on peut certes regretter. […]
Allons au fond des choses : est-ce que la diversité est aujourd’hui préoccupante ? Je le pense. Ce qui est en train de se passer avec le djihadisme est quelque chose de considérable et dont nous ne prenons pas encore toute la mesure. Il y a aujourd’hui entre 1 500 et 3 000 djihadistes potentiels selon la police.
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Je dis simplement que si la reconnaissance de la diversité ne s’accompagne pas d’un renforcement des conditions de l’unité nationale à travers tous les organes de l’Etat et de la société, si l’unité de la République française n’est pas maintenue, alors le risque de communautarisation, de libanisation de la France existe. Je ne vois pas comment on peut le nier. […]
La République a mené un combat parfois violent contre les catholiques, à la veille de la loi de 1905, en utilisant des méthodes que nous n’accepterions plus aujourd’hui. Des méthodes de différenciation, de discrimination entre citoyens qui se sont traduites par une série de scandales comme celui du fichage des officiers catholiques, de l’expulsion hors de France d’un certain nombre de religieux, autrement dit toute une série de mesures qui nous apparaîtraient aujourd’hui en dehors du droit commun. Dès lors que faut-il faire aujourd’hui ? Tout d’abord, prendre le problème au sérieux. […]
09/10/2015
Article de Nicolas Truong, responsable des pages Idées-Débats du Monde sur le débat entre Jacques Julliard et Patrick Weil sur “l’état de notre cohésion nationale”.
Faute d’un ciment national qui pourrait faire tenir une société en panne d’idéal, les communautés tiennent lieu de fraternité, la quête d’identité remplace le combat pour l’égalité, le libéralisme et l’individualisme préemptent à eux seuls la notion la liberté. La France a du mal à faire sens. Notre pays est à la traîne. Et la devise républicaine est à la peine. D’où l’envie d’inviter Jacques Julliard et Patrick Weil à débattre de l’état de notre cohésion nationale.
Car, en dépit d’une estime réciproque, ces deux historiens de la République s’opposent presque en tout point. « La France a peur de la diversité », explique Jacques Julliard, qui comprend cette inquiétude et se pose en « partisan de la résistance contre ces affirmations identitaires » que sont le voile ou le halal. Cette diversité est « notre bien commun », rétorque Patrick Weil.
Il est même temps de faire une place aux anciens colonisés dans notre « histoire commune et partagée » afin d’endiguer rejet et sécession, anathème et exclusion.
«Alors que «nous ne prenons pas encore toute la mesure» du djihadisme qui touche une fraction de la jeunesse musulmane française, le risque de «libanisation de la France» est réel, insiste Jacques Julliard.
Gare à «ne pas confondre ces tueurs avec la masse de nos compatriotes de culture musulmane» parfaitement pacifique, réplique Patrick Weil. […]
