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Ils se sont arrêtés devant la table des religions : judaïsme, christianisme, islam. Explications. Peace and love. Ils se sont penchés sur le grand échiquier central, où chaque case renferme la citation d’un penseur occidental ou arabe. Parité assurée. Pascal (“Entre nous et l’enfer ou le ciel, il n’y a que la vie entre deux, qui est la chose la plus fragile”) voisine avec El Maqqari (“Si on traverse la plaine où elle fut livrée, on entend un bruissement produit par les ailes des anges qui veillent et prient un lieu à jamais sanctifié par la mort de tant de vrais croyants”). Ami arabe, entends-tu monter des campagnes le bruissement de la bataille ?

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Charles Martel ? Connais pas !

Après le départ du maire, je suis allé les rejoindre. Ils viennent de Poitiers. Ce sont des doctorants arrivés d’Algérie pour terminer leurs études d’électrotechnique. […] Ils déambulent d’un air sérieux, découvrant l’existence de l’émir Abd-er-Rahman, dont le sang a coulé ici. Charles Martel ? Connais pas non plus ! On nous cache tout, on ne nous dit rien. Quelle part représente la bataille de Poitiers dans l’histoire des Arabes ? Assez faible, il est vrai. Un micro-événement. Ils apprennent les circonstances de ce que j’appelle leur “défaite”, terme qu’ils récusent. “C’est juste l’histoire.” Leur histoire ? Ils acquiescent. Avant d’admettre que oui, cette fois-là, les Arabes ont perdu leur match contre les Francs. Puis ils s’éloignent. L’un d’eux se dirige vers une voiture d’où il extirpe des bouteilles d’eau et un tapis de prière. Ils s’assoient sur l’herbe, près du petit musée à ciel ouvert, qui coiffe la colline de Moussais.
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Ce bâtard de Charles

[…] Il nous semblait qu’en 732 “Charles Martel avait arrêté les Arabes à Poitiers” (ou, comme le regrettera le beauf raciste de Coluche, “qu’il avait arrêté les Arabes à moitié”). Cette antienne répétée dans les manuels scolaires, qui n’avait rien à envier à Marignan 1515, aurait dû valoir à Poitiers de figurer au firmament des commémorations. Christophe Naudin et William Blanc, qui préparent un ouvrage sur le sujet, ont constaté avec surprise la même relative indifférence.
Elle débute assez tôt, après la chute des Carolingiens, dynastie fondée, rappelons-le, par Charles Martel. Les Capétiens ont repris la main. Pourquoi feraient-ils l’apologie du fondateur de la lignée qu’ils ont supplantée ? L’Église s’en mêle aussi. Les ecclésiastiques ne pardonnent pas à Charles Martel, qui était un bâtard, ses violences présumées sur les évêques et leurs biens. On ne s’attire pas impunément les foudres d’une institution qui tint longtemps les registres de l’histoire. Bien plus tard, Voltaire en voulut aussi à Charles pour d’autres raisons qu’il exposa dans son Essai sur les moeurs : sous les Lumières, le barbare n’était pas là où on le croyait. Les rustres se trouvaient chez les chrétiens et non chez les musulmans, dont la civilisation, au VIIIe siècle, était bien plus avancée. Pour le prophète de Ferney, Poitiers fut donc une régression.
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Un usage pyromane de l’histoire

Mais surtout l’image de Poitiers continue à se brouiller, polluée par les récupérateurs de bataille. Les vautours continuent à tourner au-dessus des cadavres de Moussais. Leur obsession commune : repousser les Arabes. Tel est l’usage pyromane de l’histoire : on convoque le passé, on s’empare de ses bannières, pour attiser les flammes du présent. C’est d’abord l’OAS qui fonde un groupe Charles Martel. Puis un groupuscule d’extrême droite s’empare du nom en 1972 et défraie la chronique en assassinant le consul d’Algérie à Marseille. […]

Islam friendly

Moussais se veut un lieu de laïcité, de tolérance. Invité à l’inauguration le 22 octobre 1999, l’imam de la mosquée de Poitiers se déclare satisfait. On fait venir aussi Élisabeth Carpentier, professeur à l’université de Poitiers, pour donner une conférence sur les trois batailles de Poitiers (Vouillé, Nouaille, Moussais). C’est un succès. Toujours sur un mode islam friendly, on enchaîne chaque été avec des fêtes franco-musulmanes. On confronte les cultures, on mélange les cuisines. Des calligraphes, des chameaux, des conteurs poitevins débarquent à Moussais. Le couscous voisine avec le broyé du Poitou et le farci. Le chabichou fait un tabac, icône désignée de ce rapprochement puisqu’une légende prétend qu’il aurait été inventé par des soldats musulmans restés dans la région après avoir trouvé l’âme soeur auprès de quelques bergères. Si, si, c’est très sérieux. Ici, on souligne les consonances très peu poitevines du chabichou, qui pourrait bien dériver d’el cheb, la chèvre en arabe. Des finasseries linguistiques que le FN local et sa feuille de chou 732 goûtent assez peu, agacé par ces manifestations arabophiles. Comme si, à Waterloo, les Français faisaient l’éloge du bacon anglais. Même si le site a été tagué en 2014, Texier n’en a cure. À Vouneuil, le score du FN n’a jamais dépassé les 12 %. Pour l’instant.
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