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Entretien avec le journaliste et écrivain Eric Laurent, auteur de « La face cachée des banques » (Editions Plon, octobre 2009), une enquête sur les scandales dans les milieux financiers.

Timothy Geithner, Barack Obama, Lawence Summers
Une étude britannique révèle que les bonus semblent repartir à la hausse, 7 milliards d’euros, soit 50 % de plus que l’an dernier. Et le Wall Street Journal qui rapportait il y une dizaine de jours que les banques américaines allaient verser 140 milliards à leurs salariés… Les G-20 n’auraient servi à rien ?
Je pense que les G-20 n’ont pas servi à grand-chose, on s’aperçoit que le sommet de Pittsburgh a finalement accouché d’une souris.
Je crois surtout qu’on s’est volontairement trompé de cible, les paradis fiscaux ne sont pas à l’origine de la crise, qu’ils l’aient un peu amplifiée, c’est possible.
D’autre part, la focalisation sur les bonus des traders est une vaste plaisanterie, dans la mesure où les traders ne sont pas à l’origine de la crise.
Ce qui est vraiment impardonnable, c’est la stratégie des banquiers et des établissements financiers.
Les chefs d’Etats se sont finalement mis d’accord pour mieux encadrer les bonus, mais pas pour les plafonner, ce que dénoncent un certain nombre d’observateurs, ce que vous dénoncez ?
C’est de l’hypocrisie. Qu’est-ce que ça veut dire un encadrement des bonus ! On voit très bien qu’aux Etats-Unis, le pays où le système financier règne en maître absolu, y compris auprès du pouvoir politique, il n’est pas envisageable un instant que ces bonus puissent être plafonnés. Même encadrés, c’est hors de question.
Donc en Grande-Bretagne, qui est le pays le plus proche en termes de fonctionnement de la finance anglo-saxonne, c’est la même chose. Et dans le cas de la France, tout ça baigne aussi dans une hypocrisie absolue. On sait très bien que tous les banquiers français trouveront tous les moyens possibles et inimaginables pour continuer à toucher des émoluments confortables, y compris des bonus.
Avant le G-20 de Pittsburgh, il y avait un bras de fer entre l’Europe et les Etats-Unis. L’Europe paraissait plus audacieuse, plus combative face à Barack Obama, qui semblait freiner sur les bonus. Pourquoi ce frein ? Dans votre livre vous mettez en avant les relations de complicité entre Wall Street et le pouvoir fédéral. Finalement, Obama n’a pas changé grand-chose ?
Au cours de l’enquête, j’ai découvert une chose tout à fait fascinante, la formidable puissance du pouvoir financier, et justement, cette montée en puissance, a coïncidé avec la désindustrialisation des Etats-Unis. Peu à peu, le pays a décliné au niveau industriel, d’ailleurs, ce qui a suscité un endettement considérable, et le monde financier a retrouvé la place qui était la sienne au début du siècle, avec les grands banquiers. Et le crash de 1929 avait mis entre parenthèses toute puissance financière. Elle a été restaurée aujourd’hui.

On peut parler d’oligarchie financière aux Etats-Unis, et le grand tournant, curieusement, c’est en effet les années Clinton, car il y a une collusion totale, non seulement entre le pouvoir fédéral et les milieux financiers, mais aussi entre le Parti démocrate et Wall Street, et ça c’est tout à fait étonnant, c’est-à-dire que vous découvrez que les grands bastions démocrates sont également les grands centres financiers : New York, Boston, Chicago, San Francisco.
Et vous voyez que les années Clinton ont été un tournant crucial, stratégique, toutes les règles de contrôle des banques édictées par Roosevelt ont été démantelées par Clinton et par les hommes qui l’entouraient : l’ancien patron de Goldman Sachs et ex-ministre des Finances Robert Rubin, et son adjoint (qui lui a succédé) Lawrence Summers.
Où est-il aujourd’hui, il est le principal conseiller d’Obama. La chose très intéressante, c’est qu’au fond Clinton était un petit politicien de l’Arkansas qui s’est fait élire sur un programme totalement anti-Wall Street, populiste, et il a retourné sa veste. Je le raconte en détail. Il a été séduit par le mode de vie et, évidemment, par l’influence que représentait le pouvoir financier.
Dans le cas d’Obama, c’est très intéressant, je dirais qu’il a incubé au milieu de ce pouvoir financier, parce que Chicago est un grand centre financier et les hommes qui l’ont porté à bout de bras, ce sont les principaux financiers : fonds spéculatifs, grandes banques et aussi l’industries de l’armement.

Vous relevez cette collusion entre Wall Street et le pouvoir politique aux Etats-Unis, ces relations de complicité, et spécialement avec le Parti démocrate, qui ne date pas de Barack Obama. Je vous cite, « En janvier dernier, au moment de quitter la scène politique, au moment où Obama arrivait à la Maison-Blanche, Henry Paulson pouvait se montrer rassuré, l’influence de Wall Street demeurait intacte au sein de la nouvelle administration et les hommes choisis par Obama pour l’épauler étaient les symboles de la continuité. Tim Geithner, ancien patron de la FED, de New York, associé à Paulson dans la gestion de la crise, Lawrence Summers, ancien ministre des Finances de Clinton, consultant chez Goldman Sachs, qui dirigeait, jusqu’à l’élection présidentielle de novembre, le puissant fonds spéculatif Shaw. Le choix de Geithner, qui fut conseillé à Obama par Summers, par [Jamie Dimon], le PDG de JPMorgan, et le très influent Peter Peterson, qui est le fondateur du fonds d’investissement Blackstone. » Finalement, banques et politiques, deux milieux liés, tous les hommes qui comptent en font partie, on passe de l’un à l’autre. C’est ça ?
Oui, et le plus surprenant, c’est la manière assez impavide dont Barack Obama avait envisagé de nommer au Trésor (au poste de ministre des Finances) un homme qui est proche de lui, [Jamie Dimon], le patron de JPMorgan, dont on peut dire que c’est l’un des banquiers les plus surexposés face à la crise. C’est donc un choix sur lequel on lui a dit de revenir, parce qu’il était évidemment chargé de symboles.
Il faut quand même souligner qu’il y a eu, parmi les proches conseillers de Barack Obama, un homme qui était le patron d’UBS Amérique. On se rappelle du scandale d’UBS Amérique, 52 000 comptes (il semblerait qu’il y en ait plus) de riches américains, qui grâce à UBS ont pu transférer leur argent en Suisse. Le patron d’UBS Amérique, Robert Wolf, qui est un des banquiers les plus influents avec un carnet d’adresses très envié est devenu le principal conseiller dans la campagne de Barack Obama, qui lui téléphonait tout les soirs. Aujourd’hui, de manière assez étonnante, Barack Obama l’a nommé à la tête d’une commission chargée de réformer les impôts, ce qui est le comble du paradoxe.
Barack Obama, au final, est-il un complice actif ou impuissant ? C’est le système qui veut ça ? Son entourage lui impose des hommes venus de la finance et finalement tout ce petit monde cohabite ?
Ce qui est extraordinaire, c’est de voir que ce pouvoir financier, aux Etats-Unis, puisque ce qui m’intéressait était l’épicentre de la crise, est absolument incontournable pour les politiques, quels qu’ils soient. Ça c’est le premier point.
Deuxième point, des hommes comme Robert Rubin qui ont été à la tête de Goldman Sachs, puis ministre des Finances de Bill Clinton, ont vendu l’idée aux présidents américains, et c’est une idée qui s’est développée, l’idée que le pouvoir financier est au fond la véritable puissance de l’Amérique d’aujourd’hui, et le meilleur moyen de peser et d’accentuer l’influence américaine à travers le monde.
Ça permettait, au-delà bien entendu aussi, de diffuser toutes les technologies. Une croyance qui a été développée, qui consistait à dire qu’il faut que ce pays se désindustrialise parce que les vieilles industries en déclin n’ont aucune raison d’être. Privilégions les technologies de l’information, c’est la logique de la Silicon Valley. Cette désindustrialisation, encore une fois, a abouti à la toute-puissance du monde financier, et à son imbrication politique.
En parlant de collusion, quelles sont les relations entre les milieux financiers et l’Etat en Europe, plus spécialement en France ?

C’est assez difficile, c’est évidemment au cas par cas, mais il est clair que la capacité des banques a influé… Ce qui m’a frappé, c’est le sentiment d’impunité que les milieux financiers dégagent, non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe, vis-à-vis des politiques.
Ils ont été quand même convoqués plusieurs fois à l’Elysée. Vous pensez que c’était bidon ?
Je crois simplement que la marge de manœuvre aujourd’hui des politiques, la capacité qu’ils ont de peser sur les banques, est extrêmement réduite en France. Il faut bien dire que c’est effectivement une faillite. C’est quand même les principaux bénéficiaires d’une crise énorme, qu’elles ont provoquée.
Je trouve que c’est une faillite à la fois financière mais également morale, morale de la part des hommes qui ont été à la tête de ces établissements, de la part des autorités de régulation, et également de la part des hommes politiques.
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(Merci à Pakc)

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