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Rome meurt de sa démesure et les Romains avec elle. Ce peuple d’exception n’avait pas trouvé en lui-même les ressources qui avaient permis aux colonies grecques de résister aux périls de l’Orient. Il avait cédé à l’hubris, la démesure, que les Grecs considéraient comme le mal suprême.

Au chant XVIII de l’Iliade, Homère s’écarte du récit épique pour décrire la cité des hommes selon ses vœux. Il utilise pour prétexte le décor du bouclier d’Achille forgé par Héphaïstos. Ce qu’il montre est un univers en ordre, un cosmos. Le terme, à l’origine, désigne une troupe en ordre de bataille.

L’idée d’ordre est fondamentale chez les Hellènes. Ils ne pouvaient imaginer le cosmos qu’ordonné. Tout l’effort de la philosophie a tendu vers une explication rationnelle de la stabilité du cosmos, dont elle voit la preuve dans la course des astres au firmament nocturne et dans le retour perpétuel du jour après la nuit. Etablir l’harmonie entre soi-même et le cosmos – l’ordre de l’univers – tel est le maître mot de la sagesse antique d’Homère à Aristote. La vie des hommes au sein de la cité autant que dans l’économie domestique ou la conduite personnelle, doit refléter d’aussi près que possible l’ordre cosmique, ce qui ne va pas sans efforts constants.

Les hommes portant en eux une tendance innée à la démesure, celle-ci doit être combattue par l’éducation, l’enracinement dans une cité, et de justes lois reflétant elles-mêmes l’ordre du cosmos. Aux caprices ou aux opinions subjectives, les philosophes ont opposé le logos, le discours objectif, la raison, reflet de l’ordre cosmique (l’idée que les Grecs se font de la raison est à l’opposé des abstractions subjectives des Lumières). Pour Platon, par exemple, contempler les idées pures signifie prendre la perfection du cosmos comme modèle. Retrouver cet ordre en soi et dans sa vie suppose l’effort permanent de la connaissance et de la méditation, pour cette raison que les hommes, du fait de leur imperfection et de leurs désirs, ne sont pas naturellement ordonnés au bien et à la mesure.

La condition de l’harmonie est la mesure. Celle-ci règne dans la structure de la cité, l’architecture des temples, les proportions des statues, à défaut d’être toujours présente dans la vie des individus. Bien entendu, il n’y a pas de mesure sans limites. Philosophe par excellence de la mesure et des justes proportions, Aristote montre par exemple que l’harmonie dans la cité est impossible au-delà d’un nombre limité de citoyens. Il montre également qu’elle est inconcevable sans homogénéité ethnique. Nulle aversion de principe contre les étrangers, les Barbares, pour autant qu’ils ne mettent pas en péril l’harmonie de la cité. Cette réflexion dont Aristote n’est que l’interprète fonde le souci identitaire des Grecs que, dans leur démesure, les Romains, pour leur malheur, ont ignoré.

Dominique Venner – « Histoire et tradition des Européens », Editions du Rocher

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