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Un débat agite la communauté française de Wikipédia : faut-il faire disparaître les prénoms de naissance des personnes trans dans les pages de l’encyclopédie numériques ? Les contributeurs ont jusqu’à la fin de la semaine pour s’exprimer.

C’est une question qui sème la discorde au sein de la communauté Wikipédia. Le “deadname”, autrement dit l’ancien prénom des personnes trans, doit-il figurer dans leur biographie de l’encyclopédie en ligne ? La question divise depuis plusieurs années, et un sondage lancé il y a dix jours relance le débat. Depuis le 12 février, et jusqu’au 26 février, les contributeurs bénévoles de Wikipédia sont invités à s’exprimer et à voter. Le deadname, ou morinom en français, c’est le prénom assigné à la naissance, que la personne trans choisit d’abandonner au moment de sa transition vers l’autre sexe.

Une guerre d’édition sur des pages

Sur la page dédiée au sondage, Wikipédia cite plusieurs biographies de personnes transgenres, l’acteur Elliot Page, les réalisatrices de la trilogie Matrix Lana et Lilly Wachowski, ou encore la lanceuse d’alerte américaine Chelsea Manning. À chaque fois, leur biographie note leur prénom de naissance et celui choisi lors de leur transition. Sur certaines fiches, deux noms différents apparaissent en tête de l’article et au-dessus de la photo, comme dans la page concernant Philippa York, plus connue sous le nom de Robert Millard, ancien champion cycliste dans les années 80 et 90. Ces biographies sont victimes de “guerres d’éditions”, où des contributeurs tentent d’effacer l’ancien nom et d’autres les rajoutent.

Wikipédia interroge ses contributeurs : le “deadname” doit-il être mentionné car il s’agit d’une information, ou doit-il être effacé, pour respecter le choix de la personne concernée ? S’il figure, à quel endroit dans la page ? Initialement, le sondage doit permettre de clarifier, donner une charte qui sera ensuite respectée dans chaque page. Mais le désaccord est tel qu’il y a une possibilité qu’aucune décision ne soit prise dans les prochains mois.

Des argumentaires développés  

Rappeler le prénom d’avant de la personne trans ou non-binaire, c’est la forcer sans cesse à devoir faire un coming out“, explique Arnaud Alessandrin, sociologue spécialisé dans les questions de genre l’université de Bordeaux. “Cette obligation de faire un coming out va fouler du pied des principes fondamentaux. D’abord, le respect de la vie privée, puisque dans cette circonstance, toute personne qui voit apparaître son dead name se trouve dans une interaction avec autrui qui va l’obliger ou la menacer à devoir raconter son parcours de vie.”  

Deuxièmement, ce deadname va aussi mettre en insécurité la personne. Du point de vue de sa sécurité à la fois physique mais aussi psychique, le fait de devoir révéler sa transidentité ou de se voir publiquement révélé ou remis du côté de sa transidentité, ça met en situation de vulnérabilité les personnes trans ou non-binaire“, poursuit le sociologue.  

La diffusion des morinoms peut également entraîner des souffrances pour les personnes trans qui lisent l’encyclopédie ou qui y contribuent, car leur utilisation peut être ressentie comme symbolique du rejet des personnes trans dans leur nouvelle identité“, ajoute en introduction la page Wikipédia. La question principale est la suivante : “Dans le cas où une personne trans a acquis une grande notoriété sous son nom pré-transition, ce nom devrait-il en principe être mentionné dans le résumé introductif ?” Depuis près de dix jours, les contributeurs sont invités à s’exprimer. Les débats sont vifs, et argumentés. La preuve avec les centaines de réponses apportées.

Les pour et contre s’affrontent  

L’un des contributeurs qui militent pour garder une trace de l’ancien nom des personnes trans raisonne ainsi : “Puisque la notoriété a eu lieu sous son morinom, c’est notre devoir d’encyclopédiste de signaler ce nom (…) En revanche, la délicatesse veut que l’on éviter de l’asséner à chaque ligne.” Pour Arsael : “Cela paraît nécessaire pour comprendre que l’on est sur le bon article. De plus, c’est une information importante concernant la personne et il paraît difficile à concevoir qu’une encyclopédie puisse faire l’impasse sur le sujet

À l’inverse, un autre contributeur estime que “le deadname n’est plus une information encyclopédique importante mais une information relevant de la vie privée. Le mettre dans le RI [le Résumé Introductif, NDLR] participe d’une survisibilisation qui me semble hautement problématique.” Skimel ajoute : “Mentionner le deadname dans le RI, c’est renvoyer les personnes trans à leur ancienne identité, c’est source de beaucoup de souffrance et ça a un impact fort sur la santé mentale. Je pense que le deadname peut être indiqué uniquement pour des besoins de compréhension dans le corps de l’article, dans une section adaptée.

“La transphobie n’a jamais été aussi forte”  

Selon le sociologue Arnaud Alessandrin, ce débat “s’inscrit dans un moment particulier” : “Ce sondage, comme cette controverse, apparaît dans un moment où la transphobie n’a jamais été aussi forte, et où les arguments naturalistes à l’encontre des droits des personnes trans n’ont jamais été aussi forts“. “On ne peut pas extraire cette controverse du moment de l’instant social et politique dans lequel elle naît, à savoir un moment de renouveau de la transphobie“, souligne Arnaud Alessandrin.  

Le Wikipédia en anglais a de son côté tranché, le nom pré transition est inclus dans le premier paragraphe de la biographie seulement si la personne était connue sous ce nom, ce qui est le cas par exemple de l’acteur Eliott Page ou de la cycliste Philippa York, plus connue sous le nom de Robert Millar.

France Inter

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