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On sait Philippe Grumbach intime de Pierre Mendès France, “mon cher ami”, se nomment-ils dans leur correspondance, comme il l’a été de François Mitterrand. Il est surtout proche depuis plusieurs années du président de la République, Valéry Giscard d’Estaing. En octobre 1977, Le Canard enchaîné l’a décrit comme “l’un des conseillers les plus écoutés” du chef de l’Etat. VGE a failli l’imposer à la tête de RTL, après avoir pensé à lui pour Antenne 2. Seule son éviction de L’Express, décidée par Jimmy Goldsmith, début 1978, pourrait le contrarier. Mais Grumbach a un plan, il envisage de créer un journal. Ce que personne ne sait alors, c’est que le patron de presse influent cache un lourd secret. Il est l’un des principaux agents du KGB en France. A la lecture de ses états de service, on pourrait même le considérer comme un des plus grands espions soviétiques de la Ve République.

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Information stupéfiante. Depuis les années 1970, Philippe Grumbach passait pour proche de l’UDF, après des années dans les arcanes de ce qu’on n’appelle pas encore la “gauche caviar”. Pro-communiste, il ne l’a jamais été, hormis dans sa jeunesse. Sur une autre page, il est question de son alias : “”Brok”, né en 1924, juif, citoyen français, directeur du journal L’Express, collabore depuis 1946. A de bonnes relations personnelles avec Edgar Faure, Mitterrand, le ministre des Affaires étrangères Schumann, Defferre et Servan-Schreiber, ce dernier lui confie la mission de régler des questions délicates, la liaison avec les représentants et leaders des partis politiques et les groupes”. La description ne laisse aucun doute : Grumbach est Brok.

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Brok. Un nom bien connu des milieux du renseignement. “L’un des agents les plus anciens et les plus appréciés” du KGB en France, écrivent Mitrokhine et Andrew dans Le KGB contre l’Ouest. Les informations sur son compte sont parcellaires dans les notes du lieutenant-colonel. Mais il en écrit suffisamment pour qu’on comprenne que Grumbach-Brok était une pièce maîtresse de Moscou en France. Il “était jugé tellement important par le Centre qu’il avait rencontré cinq des chefs du cinquième département de la première direction du KGB, c’est-à-dire le service chargé de l’espionnage en Europe occidentale, “responsable, entre autres, des opérations en France”. En clair, Grumbach-Brok a eu des relations directes avec cinq maîtres espions du KGB à Moscou. Il est le seul agent mentionné dans le livre à avoir reçu un tel honneur. Mitrokhine liste aussi dix de ses “officiers traitants” soviétiques en France, de 1951 à 1979. La collaboration a été exceptionnellement longue. Celle-ci s’arrêtera en 1981, après trente-cinq ans.

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Une seule mission précise de l’agent Grumbach-Brok est détaillée dans les archives. Elle paraît tirée d’un roman d’espionnage. “Pendant la campagne pour la présidentielle de 1974, il reçut du Centre, sur instructions personnelles d’Andropov [NDLR: le directeur du KGB], les conseils prétendument donnés à Giscard d’Estaing par les Américains pour battre Mitterrand et Chaban-Delmas, son rival gaulliste au premier tour”, écrivent Mitrokhine et Andrew. Et d’ajouter que “Brok fit parvenir ce faux document à Chaban-Delmas et à quelques autres responsables politiques dans le but manifeste de faire obstacle à l’union au second tour des divers courants de la droite”. Information encore une fois saisissante quand on sait que Philippe Grumbach passait alors, au sein de la rédaction de L’Express, pour un sympathisant de Valéry Giscard d’Estaing.

Pour le reste, Mitrokhine se contente de quelques mots, suffisants pour comprendre que Grumbach était plus qu’un agent d’influence. Il est question de “renseignements”, d” “informations”, de “missions”, et d’ “actions”. Et d’argent aussi. Beaucoup. Le transfuge du KGB n’a gardé que certains relevés mais note que Brok a perçu, entre 1976 et 1978, 399 000 francs, l’équivalent de 252 000 euros de 2022, en tenant compte de l’inflation, selon les coefficients de l’Insee. En 1973, 1974 et 1975, le KGB a aussi offert une prime exceptionnelle à ses 13 meilleurs agents en France, “avec l’approbation personnelle d’Andropov”, lit-on. Brok en fait partie. Avec 3 000 francs de gratification chaque année, il est même le deuxième agent le mieux rétribué, après “Jour”, un chiffreur du Quai d’Orsay qui permet à Moscou de lire la plupart des télégrammes diplomatiques français en direct.

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L’Express

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