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Soixante-dix ans après l’appel à la solidarité prononcé le 1ᵉʳ février 1954 par l’abbé Pierre à l’antenne de Radio Luxembourg, les présidents d’Emmaüs France (Antoine Sueur), Emmaüs Europe (Carina Aaltonen) et Emmaüs International (Patrick Atohoun ) interpellent les Français dans une tribune au « Monde » sur la situation des personnes exilées, et appellent à un changement de discours. Le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre s’alarme de l’aggravation de la crise du logement et fait état de 330 000 personnes sans domicile fixe et 4,2 millions de personnes mal logées. Ce rapport et évoque une « bombe sociale ».

[…] Les rapports se succèdent pour en attester, et les critiques que s’attire l’Etat français pour ses pratiques inhumaines et indignes émanent des autorités les plus respectées : Défenseur des droits, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ou encore Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés… Et malgré ces politiques prétendument dissuasives, on estime qu’ils sont près de trente mille, femmes, hommes et enfants, à avoir perdu la vie au cours de la dernière décennie, en tentant de traverser la mer Méditerranée. Nous ne croyons pas qu’une société accueillante soit la solution : nous le savons ! Nous, héritières et héritiers de l’abbé Pierre, pratiquons l’accueil inconditionnel et accompagnons des personnes sans distinction de genre, d’origine ou de religion.

A Emmaüs, comme dans de nombreuses organisations solidaires, nous participons modestement à prouver que les personnes qui se sont arrachées à leur terre d’origine et à leurs proches viennent seulement chercher une vie plus digne et un avenir meilleur. Celles et ceux qui déclarent sans ciller que l’on ne devrait pas envoyer des bateaux au secours des naufragés en Méditerranée se sont-ils demandé un seul instant ce qu’ils auraient fait à leur place ? Probablement pas, parce qu’ils sont nés au « bon endroit ».

D’autant que, dans le débat public comme dans les médias, fantasmes et contre-vérités absurdes circulent à l’envi sur les personnes en situation de migration, ne cherchant jamais à comprendre les ressorts de leur parcours et leur réel désir d’intégration, avec de terribles conséquences sur les perceptions et les consciences.

Nous, héritières et héritiers de l’abbé Pierre, sommes consternés par l’essor de cette pensée raciste décomplexée, portée par certains médias départis de toute humanité, vomissant à longueur d’antenne des concepts rances et des assertions jamais vérifiées. Les organes de presse portent une lourde responsabilité dans ce délitement, il leur revient de veiller à ce que le traitement des questions relatives aux migrations soit plus équilibré.  […]

Pourquoi parle-t-on si peu de ces nombreuses études qui expliquent que notre pays a besoin de personnes issues de l’immigration pour son économie, qui démontrent que notre capacité d’accueil est bien plus grande qu’on ne le pense, qui prouvent les immenses bienfaits du brassage culturel, qui rappellent que, historiquement, une civilisation qui se referme court bien souvent à sa perte ? Pourquoi ne met-on pas davantage en lumière ces innombrables situations, partout dans le pays, où le vivre-ensemble l’emporte sur la peur de l’autre, l’hostilité et les idées reçues ? […]

Le Monde ; Sud Ouest

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