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Le projet de loi sur l’immigration est accusé, par ses détracteurs, de «porter atteinte aux valeurs républicaines». Pour apprécier le sérieux de cet argument, il faut raconter ce qu’a été la politique d’immigration des gouvernements républicains lorsque ce régime s’est enraciné en France, c’est-à-dire sous la IIIe République (1871-1940). Or la politique d’immigration alors suivie par la gauche comme par la droite paraît d’une extrême sévérité à bien des égards. […]

Le nombre d’étrangers, venus de pays européens voisins, augmente très fortement entre 1850 et 1880. Il atteint un million en 1881 selon les statistiques officielles (l’évaluation ne comprend ni les frontaliers et saisonniers, très nombreux, ni les naturalisés, ni les clandestins). À l’époque, la IIIe République est naissante. À partir de 1879, les républicains l’ont définitivement emporté, dans les urnes, sur les monarchistes, dont l’influence électorale va décroître.

Schématiquement, les républicains représentent la gauche et une partie du centre d’alors, divisés en de nombreuses nuances, et contrôlent toutes les institutions (Chambre des députés, Sénat, présidence de la République). […]

Le droit du travail est le même pour les Français et les étrangers. En revanche, les républicains jugent naturel que, en matière d’action collective et de fonctions électives, les travailleurs étrangers ne disposent pas des mêmes droits que leurs collègues français. Le droit syndical est reconnu aux étrangers comme aux nationaux, mais les premiers ne peuvent constituer des syndicats de travailleurs étrangers. Ils sont tenus d’adhérer à des syndicats français, et écartés des fonctions de président ou administrateur (loi du 21 mars 1884). […]

«La protection du travail national» (l’appellation figure dans l’intitulé d’une loi en 1893) est par ailleurs, dès la Belle Epoque, une préoccupation des gouvernants. Alexandre Millerand est le premier socialiste à participer à un gouvernement républicain, en 1899. Ministre du commerce et de l’industrie du gouvernement de gauche anticlérical et dreyfusard de Waldeck-Rousseau, Millerand impose aux entrepreneurs qui obtiennent des marchés publics d’employer en priorité des travailleurs français (décret du 10 août 1899). […]

À l’époque, sur l’échiquier politique, seul le PCF, alors isolé, assez faible et en guerre contre socialistes et radicaux aussi bien que contre la droite, paraît protester contre le coût du renouvellement des cartes d’identité pour les travailleurs étrangers et, de façon plus générale, la sévérité de la réglementation. Le PCF, qui s’adresse par principe d’abord à «la classe ouvrière», longtemps mal intégrée dans la nation, entreprend de gagner à sa cause des travailleurs étrangers. Dès 1923, la CGT Unitaire (branche minoritaire de la CGT devenue communiste après le Congrès de Tours en 1920) créé une branche destinée à la Main-d’œuvre étrangère (MOE), plus tard rebaptisée Main-d’œuvre immigrée (MOI). […]

Pour obtenir sa naturalisation, il faut être assimilé, le grand mot de l’époque. C’est une démarche individuelle. Dans la droite ligne de la Révolution, la IIIe République ne reconnaît aucune communauté, aucun groupement qui s’interposerait entre le citoyen et la nation. Camille Chautemps, radical-socialiste, membre de la Ligue des droits de l’homme, pilier des ministères de l’entre-deux-guerres (il sera ministre d’Etat du gouvernement du Front populaire en 1936 et quatre fois présidents du conseil), est, en 1924, ministre de l’Intérieur du Cartel des gauches (radicaux-socialistes et socialistes). Or, le 26 février 1925, il écrit aux préfets, dans une circulaire: «Mon attention a été appelée sur les inconvénients que peut présenter pour le maintien de l’ordre public ainsi que pour la tranquillité de la population, la formation sur notre territoire d’importants groupements de travailleurs étrangers», c’est-à-dire d’étrangers rétifs à l’effort d’assimilation qu’on attend d’eux, lequel exige qu’ils cherchent à ressembler aux Français et se montrent discrets. […]

Lorsque la crise de 1929 frappe la France, députés radicaux-socialistes, socialistes, centristes et de droite classique s’accordent pour adopter la loi du 10 août 1932 «protégeant la main-d’œuvre nationale», adoptée sous le gouvernement d’Edouard Herriot. […]

Lors des débats au Palais-Bourbon, en novembre 1931, Charles Lambert, vice-président du groupe radical-socialiste et membre de la Ligue des droits de l’homme, juge l’immigration de travail très souhaitable dans les campagnes dépeuplées mais néfastes dans les grandes villes. Il cite un passage d’un livre qu’il a publié sur le sujet trois ans plus tôt, La France et les étrangers«trop souvent les travailleurs français ont été dépossédés de leur situation par des ouvriers venus en France avec des contrats leur permettent de défier toute concurrence»Pour le député du Rhône, l’égalité salariale à fonctions et compétences identiques, stipulée par les conventions d’immigrations conclues entre Paris, Varsovie, Prague et Rome, serait une fiction. […]

Le successeur de Roger Salengro Place Beauvau, le socialiste Marx Dormoy, s’il manifeste sa sollicitude envers les réfugiés politiques qui fuient l’Allemagne nazie, est intransigeant envers l’immigration clandestine. Il donne pour instruction aux préfets de «refouler impitoyablement tout étranger qui cherchera à s’introduire sans passeport ou titre de voyage valable ou qui n’aura pas obtenu de visa consulaire s’il est soumis à cette formalité» (14 avril 1937). […]

Le Figaro

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