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ENQUÊTE – Méthodes inefficaces, professeurs mal formés… Les lacunes accumulées dès le plus jeune âge ont d’inquiétantes répercussions dans le supérieur.

«Le système d’éducation français passe trop de temps sur les additions, alors que notre cerveau est programmé pour! Même les vaches savent additionner!, s’emballe le mathématicien et inspecteur général Charles Torossian, coauteur avec le médaillé Fields Cédric Villani d’un rapport sur l’enseignement des mathématiques, rendu en 2018 au ministre de l’Éducation nationale. En revanche, la multiplication et la division, c’est difficile pour tous les humains, sur toute la planète, même en Chine et à Singapour! Rares sont les personnes qui ont des intuitions multiplicatives…» D’où la nécessité d’aborder précocement la multiplication, la division, puis les fractions, les décimaux, pour asseoir ces notions complexes. Mais les professeurs des écoles ont tendance à repousser l’échéance, par crainte des difficultés que pourraient rencontrer leurs élèves, en miroir de leurs propres lacunes. «Les décimaux doivent être abordés dès le mois de novembre de l’année de CM1. Dans les faits, seules 10 % des classes le font, poursuit Charles Torossian. Et 25 % commencent après le mois de mai…»

C’est à cette date qu’a justement lieu l’évaluation internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study), qui porte, pour moitié, sur les décimaux et les fractions. Peu étonnant que les écoliers français enregistrent des résultats catastrophiques. En 2020, Timss plaçait les élèves de CM1 en dernière position en Europe, et ceux de quatrième avant-dernier. «Hormis le théorème de Pythagore, le programme de quatrième reprend tous les sujets abordés en CM1», précise Charles Torossian. Dans le classement international Pisa 2019, qui évalue les compétences des élèves à 15 ans, la France se situe tout juste dans la moyenne, en recul par rapport à 2003.

Les élèves confondent ainsi 1/2 avec 1,2. Et beaucoup pensent que 0,8 + 1 fait 0,9. Parmi ses recommandations, le conseil suggère de «mesurer», de «manipuler» des ensembles concrets d’objets, de composer et décomposer des formes géométriques. En d’autres termes, de rendre les mathématiques plus concrètes dans les premiers apprentissages, comme le faisait Maria Montessori, ou comme le propose la «méthode de Singapour». Les concepts, eux, doivent être introduits «plus tôt, de façon progressive et intuitive».

(…)

Ancien ingénieur dans l’industrie, reconverti professeur depuis trois ans, Julien enseigne en math sup, en région parisienne. «Pas une prépa d’élite, précise-t-il. Je suis tombé de haut quand je me suis aperçu que les élèves ne savaient pas calculer l’aire d’un disque! Le niveau s’est effondré dans le secondaire.» Il pointe des programmes qui, en maths, se concentrent sur les probabilités, au détriment de l’analyse et de la géométrie. «Auparavant calculatoire, la physique est quant à elle devenue descriptive. En première et en terminale, les élèves font de la physique quantique, alors qu’ils ne savent pas ce qu’est un ressort! , résume le professeur, qui s’inquiète du niveau des futurs ingénieurs. Si leurs compétences se limitent à faire du tableau Excel et du PowerPoint, ça va poser de gros problèmes en termes d’innovation», lâche-t-il.

«Aujourd’hui, les étudiants sont habiles pour chercher l’information, mais beaucoup moins pour l’utiliser, estime de son côté Laurent Champaney, président de la Conférence des grandes écoles (CGE) et directeur des Arts et Métiers. Ils récupèrent une formule de maths sur internet, qui donne un résultat aberrant, et l’écrivent sans réfléchir!» Il s’inquiète aujourd’hui de la baisse du nombre de filles dans son école – «Moins 1,5 point, quand on part de 17 %, c’est beaucoup» -, et plus généralement du manque de candidats aux écoles d’ingénieurs, «alors que les besoins des entreprises sont immédiats, et dans tous les secteurs»«Dans nos concours d’entrée, nous allons au bout des listes. Nous essayons de recruter large, mais c’est critique», affirme-t-il. Aux Arts et Métiers, il s’est fixé comme objectif de passer de 2000 à 3000 diplômés par an. «Nous allons puiser dans d’autres viviers que les classes prépas et aller aussi sur d’autres territoires, comme le Maroc», conclut-il.

Le Figaro

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