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Comment des gains au Loto ont détruit une famille modeste : « J’ai peur que mon fils me mette un contrat sur la tête »

NUMÉROS GAGNANTS (4/6). Stanislas, gestionnaire de fortune, raconte comment il a dû accompagner une famille d’origine modeste qui s’est retrouvée subitement à la tête d’un trésor de plusieurs dizaines de millions d’euros, après avoir gagné au Loto. Le début de l’enfer.

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C’était un couple d’une petite cinquantaine d’années, originaire du Maghreb. Ils étaient immigrés de première génération. Des gens simples et très bien, un couple uni, à la tête d’une famille nombreuse et soudée. Ils avaient perdu un enfant, c’était le drame de leur vie. Le père était ouvrier, ils vivaient dans une cité de la région parisienne, locataires d’un F3 en logement social, avec beaucoup de dettes et des fins de mois évidemment difficiles. Quand ils ont appris qu’ils avaient gagné, avant même que la FDJ leur propose de l’aide, un accompagnement, ils en ont parlé à tout le monde. La famille, les amis, les voisins, tout le monde… Ils se sont retrouvés assiégés, il y avait quasiment la queue devant leur immeuble, des lettres et des courriels arrivaient par milliers, ils étaient complètement dépassés.” Il a fallu les exfiltrer très vite. La FDJ s’en est occupée. Ils se sont retrouvés dans un hôtel de luxe du sud de la France, avec leurs enfants, qui avaient à l’époque entre 20 et 30 ans, et les petits-enfants… Ils étaient désemparés : « Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » Ils avaient perdu tous leurs repères. La somme était folle. Ils ne réalisaient pas vraiment. Des milliers, des dizaines de milliers, des millions, des dizaines de millions d’euros ? Quand on gagne un smic, c’est un peu du pareil au même, c’est compliqué de se rendre compte. Ils m’ont dit qu’en quinze jours, ils avaient déjà claqué 100.000 à 200.000 euros, partis en fumée… Ça leur faisait peur. En six mois, on en était déjà à près de 5 millions.

C’est à ce moment-là que je les ai rencontrés. Ils voulaient transférer la somme dans notre établissement. La somme était si dingue qu’ils ne savaient pas écrire le chèque pour transférer l’argent. On les a aidés et on l’a encaissé. Ils auraient voulu continuer à vivre dans cette ville de la Riviera, mais c’était vite devenu compliqué. Les garçons ont commencé à faire n’importe quoi, à acheter des montres hors de prix, des bijoux, à flamber dans des grands hôtels, à réserver dans des restos étoilés où ils se comportaient mal, à acheter des Porsche, des Ferrari, toujours les derniers modèles dont ils changeaient tous les quinze jours. Les vendeurs de voiture les harcelaient. Eux faisaient conneries sur conneries. Des rodéos, des courses-poursuites en ville… Ils se sont vite fait repérer.

Les parents étaient vraiment des gens bien, mais ils étaient complètement perdus. On a essayé de cadrer les choses, mais les enfants se pointaient tous les jours à la banque pour réclamer de l’argent. On leur disait « vous n’avez pas de pouvoir », mais ils s’énervaient, c’était devenu ingérable. En fait, la famille ne voulait pas vraiment de conseils, ni les nôtres, ni ceux de la FDJ, du moins en ce qui concernait les enfants. Ils se rendaient bien compte qu’ils étaient dépassés et ne tenaient pas à ce qu’on pointe ces difficultés…

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Lui n’avait qu’un rêve : retourner chez lui, dans son pays natal, acheter une grosse propriété, montrer qu’il avait réussi. Il voulait aussi acheter des affaires à chacun des enfants, pour qu’ils aient une activité professionnelle. Des hôtels, des restaurants. Je le lui ai déconseillé : « Ils n’ont pas de formation, ils n’ont ni la compétence, ni l’envie. » Mais le père n’en a fait qu’à sa tête. Et puis, il y a eu le « printemps arabe »… Le tourisme s’est effondré. Ils ont perdu énormément d’argent.

Les enfants sont nés en région parisienne. Ils font partie de ces jeunes de deuxième génération qui se sentaient rejetés en France, mais n’ont aucune intention de rentrer dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Ils ne rêvaient que de Dubaï. Ils ont convaincu leur mère. Là-bas, ils ont arnaqué leur père, et ils se sont fait arnaquer aussi. Ils achetaient des appartements, mentaient sur le prix de revente, exigeaient de l’argent tout le temps… J’ai vraiment essayé de les raisonner, mais les fils ont tout fait pour me sortir du jeu. J’avais, selon eux, trop d’influence sur leur père. Ils ont fini par changer de banque. (…) Le père est reparti vivre dans son pays d’origine. Il n’a jamais voulu mettre les pieds à Dubaï. Sa femme s’est installée entre la Suisse et Dubaï. Elle allait le voir de temps en temps. Les liens se sont distendus.

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Ensuite, je les ai tous un peu perdus de vue. On m’a dit qu’ils n’avaient pas fait faillite mais pas loin. Le père est mort d’une longue maladie. Je ne dis pas que ce gain faramineux en est la cause, mais ça a pu précipiter les choses. Ça le rongeait, tout cet argent, cette famille en miettes. Je ne l’ai jamais vu euphorique d’avoir touché ce gros lot, jamais heureux. Il voulait juste rentrer au pays. Il m’a dit un jour qu’il en avait assez, de tout ça, qu’il était inquiet. Une autre fois, il m’a dit, devant sa femme : « J’ai peur que mon fils mette un contrat sur ma tête. » 

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Nouvel Obs

Merci à BB.

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