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Gabriel, tu vas nous faire part des témoignages que tu as recueillis auprès de jeunes en banlieue, mais peux-tu auparavant te présenter brièvement ?

J’ai travaillé en Seine-Saint-Denis plus de six ans avant de faire complètement autre chose, d’abord dans une association privée qui s’occupait d’aide aux mineurs en difficulté (errance, rupture familiale, mineurs isolés…) puis dans un secteur public qui s’occupe de mineurs déjà placés, de jeunes « en contrat jeune majeur » ou en suivis divers par les services sociaux.

Tous ces témoignages sont réels, redondants et très familiers pour bon nombre d’ac­teurs du social. Ils sont peu divulgués car il y a la notion de secret professionnel, mais aussi par habitude, on ne parle pas de ces choses-là à l’extérieur ou très peu, au même titre qu’une femme battue n’ira pas évoquer ses difficultés, c’est un mélange de pudeur et de « devoir de réserve ». 

Les jeunes évoqués ici ont entre 12 et 17 ans, certains sont majeurs et tous viennent du 93.

Est-ce que tu peux nous donner quelques exemples ?

(…) recueillis à l’hosto ou dans divers services sociaux, souvent redondants, donnant lieu à des plaintes ou non selon le souhait des adolescentes, ici des témoignages dont l’anonymat reste bien sûr essentiel.

→ Du côté des filles :

  • « Léducatrice m’a dit que c’était pas normal d’embrasser d’abord le sexe de son copain alors qu’on s’est jamais embrassés sur la bouche avant, mais j’ai des copines qui le font aussi j’ai pas réfléchi du coup, ça se fait. Mais je sais que si il te demande de le faire à ses copains, là c’est pas normal. Après j’ai des copines qui le font pour faire plaisir à leur copain. Après c’est difficile, une fois que ça commence les garçons te lâchent plus »
  • « Il faut taper une autre fille, n’importe laquelle, sinon tu montres pas ta force, on te prend pour une faible, et après les garçons rigolent de toi et des fois ils t’emmènent derrière et te touchent et tout. Une fois j’ai même frappé une copine à moi mais tout le monde fait ça, si t’es faible tu te fais trop taper après »
  • « Jai pas voulu sortir avec un garçon, il a mis mon nom sur « balance ta keh » sur snap. Même si t’as rien fait, une fois que tu es dessus t’es comme une pute, et si tu te fais violer c’est de ta faute. Moi je suis encore vierge et je me fais insulter, je vais plus en cours, j’aimerais changer de lycée. Il y avait un garçon que j’aimais bien, il me traite de salope, ça c’est dur pour moi »
  • « Il m’a dit ou tu me suces et je dirai rien, ou tu me suces pas et alors je dirai à tout le monde que tu l’as fait, donc je l’ai fait, il l’a quand même dit. J’aimerais partir, j’en peux plus des insultes, j’ai arrêté d’aller en cours »

→ Du côté des garçons :

  • « Jétais avec un copain, il m’a dit viens on va à l’appart de mon cousin, sa mère est pas là. Il y avait une fille là-bas qui était pas bien, elle dormait à moitié et mon copain a couché avec, après il m’a dit vas-y, alors j’ai fait semblant. Je dors plus bien, je pense souvent à la fille, elle est encore dans le quartier et se fait insulter, moi aussi je l’insulte, je fais comme tout le monde »

On pourrait bien sûr continuer longtemps, et il y a bien sûr plus violent. Les viols, tournantes, pressions constantes, fellations à la sauvette, tabassages de jeunes, se font en toute impunité chaque jour, et chaque jour un pénis rentre dans une bouche ou un corps qui ne veut pas, et certains jeunes terrorisés à répétition font semblant d’en être ou ne disent rien pour éviter le pire. Il y a la loi du plus fort, et le silence des agnelles. Pour­quoi se gêner ? Personne ne dira rien. Territoires perdus de la morale et du consentement. La liberté n’est et ne sera jamais une débauche perpétuelle.

Comment ces filles le vivent-elles ?

Les adolescentes assez jeunes sont extrêmement naïves malgré le taux de violence qu’elles peuvent montrer (parler wesh, échanges de coups avec leurs copines pour se donner un genre, voix très fortes, etc.) ; certaines se voient proposer de pratiquer des fellations sur un garçon, puis sur d’autres et c’est le cycle infernal. Il arrive qu’elles soient payées par un kebab ou 20 euros quand ça se passe avec des hommes plus âgés. 

Ces filles ont toutes le même profil ?

On peut dire qu’il y a trois catégories dans ce milieu de la prostitution et des agres­sions : les jeunes filles sans défense, abîmées et utilisées sans relâche, violentées et droguées, puis les jeunes filles qui acceptent de se prostituer sans subir de violences physiques, genre coups et enfermement, et enfin des jeunes filles au caractère fort qui décident avec qui et quand elles vont se prostituer.

Leurs familles ne sont pas des soutiens ?

Lorsque certaines jeunes filles arrivaient au centre, j’avais l’impression d’un survivant qui s’accroche à un canot de sauvetage de toutes ses forces, ou comme si elles arrivaient aux portes d’une ambassade pour trouver de l’aide. Certaines étaient en short et mal vêtues, les plus débrouillardes arrivaient avec leur carte Vitale et leur pièce d’identité, dans un aller sans retour. Malheureusement parfois elles ont dû retourner dans leur famille, les preuves étant trop minces ou la pression trop forte. Parfois la famille venait les récla­mer à 20 personnes…

Et en termes de cultures d’origine ?

Pour ce qui est des origines géographiques, j’ai pu rencontrer des familles principale­ment originaires du Mali, du Sénégal et du Congo, mais aussi des Comores et d’Inde, ou du Maghreb, principalement Maroc et Algérie, très peu de Tunisie. Il y a eu quelques familles originaires des pays de l’Est, Macédoine et Moldavie, et aussi quel­ques familles de gitans sédentarisés originaires de Roumanie. Bien sûr aussi des familles d’origine française très prolétarisées, pour la plupart.

[…] Observatoire du décolonialisme

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