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Tribunal Administratif de VERSAILLES

N° 2003806

1ère chambre
lecture du 30 mars 2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 24 juin 2020, Mme A B, représentée par la SCP Waquet, Farge, Hazan, demande au tribunal :

1) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 234 363,67 euros en réparation des préjudices qu’elle a subis en raison de son licenciement suite à la constatation du comité des droits de l’homme des Nations Unies, ceux-ci étant assortis des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, avec capitalisation des intérêts échus ;

2) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

la responsabilité pour faute de l’Etat est engagée en raison de l’inexécution dans l’absence d’exécution, par les autorités françaises, des constatations du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies du 16 juillet 2018 ayant constaté les articles 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

* d’une part, en ce qu’il y a carence du législateur et du pouvoir réglementaire pour défaut d’organisation d’une procédure ad hoc permettant l’exécution des constatations du Comité des droits de l’homme ;

* d’autre part, en raison du silence gardé par les autorités françaises à la suite des constatations du Comité des droits de l’homme en date du 16 juillet 2018, qui invitaient l’État français à lui communiquer, ” dans un délai de 180 jours ” tous renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations ;

– les préjudices sont établis à hauteur de 234 363,67 euros, soit :

* 169 363,67 euros pour licenciement injustifié : 13 331,07 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement en application de la convention collective FEHAP, 4 847,66 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 484,77 euros au titre des congés payés et 700,17 euros au titre des rappels de salaires correspondant à la période de mise à pied ;

* 15 000 euros au titre des frais de procédure : 5 000 euros au titre des procédures en cour d’appel, 5 000 euros au titre des procédures devant la Cour de cassation et

5 000 euros au titre de la procédure devant le Comité des droits de l’homme ;

* 50 000 euros au titre du préjudice moral.

Le secrétariat général du Gouvernement, à qui la requête a été communiquée, n’a pas produit de mémoire en défense.

La requête a été communiquée au ministre de la justice et au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, qui n’ont pas produit d’observations.

Par une ordonnance du 6 février 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 20 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code du travail ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. C,
– les conclusions de Mme Bartnicki, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B a été engagée le 6 décembre 1991 par l’association Baby-Loup, en qualité d’éducatrice des jeunes enfants, à D, dans le cadre d’un contrat emploi solidarité. Depuis le 1er janvier 1997, elle exerçait dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, en qualité d’éducatrice, des fonctions de directrice adjointe de la crèche. En 2008, à l’issue de son congé parental, elle a été informée par son employeur qu’elle ne serait pas autorisée à revenir travailler vêtue de son foulard. Convoquée pour reprendre son travail le 9 décembre 2008, Mme B s’est présentée à la crèche, portant sa tenue habituelle, c’est-à-dire un foulard autour du visage. Par lettre du 19 décembre 2008, l’association Baby-Loup lui a notifié son licenciement pour faute grave pour insubordination. Mme B a également saisi le Conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie le 9 février 2009, aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement pour discrimination fondée sur ses convictions religieuses et atteinte aux libertés fondamentales. Par jugement du 13 décembre 2010, le conseil des prud’hommes l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Versailles par un arrêt du 27 octobre 2011, puis, après cassation et renvoi par la cour de cassation, par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 novembre 2013. Par un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation formé par Mme B. Saisi par Mme B, le Comité des droits de l’Homme des Nations-Unies a, le 10 août 2018, constaté que la France avait méconnu les articles 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a considéré que l’Etat partie était tenu, d’une part, d‘indemniser Mme B de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnités et le remboursement de tout coût légal, ainsi que pour toute perte non pécuniaire encourue par l’auteure en raison des faits de l’espèce, et d’autre part, de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir des violations similaires à l’avenir. Il a indiqué souhaiter recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. En l’absence de toute mesure prise dans le sens indiqué par le Comité, Mme B a saisi le Premier ministre, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 février 2020, d’une demande tendant à l’indemnisation par l’Etat des préjudices qu’elle estime avoir subis à raison de la violation de ses droits par la France. En l’absence de réponse à sa demande indemnitaire préalable, Mme B demande au tribunal de condamner l’Etat à l’indemniser de ses préjudices à hauteur de 234 363,67 euros.

Sur la responsabilité :

2. Aux termes de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : ” 1. Il est institué un comité des droits de l’homme (ci-après dénommé le Comité dans le présent Pacte). () “. Aux termes de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques : ” Tout Etat partie au Pacte qui devient partie au présent Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation, par cet Etat partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. () “. L’article 5 du Pacte stipule : ” 1. Le Comité examine les communications reçues en vertu du présent Protocole en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le particulier et par l’Etat partie intéressé. () 4. Le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier. “

3. Il ne résulte pas des stipulations citées ci-dessus, ni d’aucune autre, que les constatations du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, organe non juridictionnel, revêtiraient un caractère contraignant à l’égard de l’Etat auquel elles sont adressées. Il s’ensuit qu’en l’espèce, en ne prenant pas les mesures individuelles et générales indiquées par le Comité dans ses constatations du 24 septembre 2018, l’Etat n’a pas méconnu la portée des engagements internationaux souscrits par la France et n’a pas, ce faisant, commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité. Pour les mêmes raisons, l’absence de création par le législateur ou le pouvoir réglementaire d’une procédure spécifique de mise en oeuvre des constatations du Comité des droits de l’homme ne constitue pas une méconnaissance des engagements internationaux de la France de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Enfin, à supposer que la requérante ait entendu invoquer la faute consistant, pour l’Etat, à ne pas avoir adressé d’informations au Comité des droits de l’homme dans le délai de 180 jours indiqué dans ses constatations, une telle circonstance, à la supposer établie, relève de la conduite des relations diplomatiques entre la France et le Comité et est, en tout état de cause, sans lien avec les préjudices invoqués par Mme B.

4. Il résulte de ce qui précède que la requête de Mme B doit être rejetée en toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au ministre de la justice et au ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

Délibéré après l’audience du 16 mars 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Mégret, présidente,
M. Jauffret, premier conseiller,
Mme Degorce, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2023.

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Résumé de l’affaire Baby-Loup sur Wikipedia

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