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Recension écrite par Marcel Gauchet, sociologue.

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Driss Ghali n’est pas un historien professionnel. Son but n’est pas de fournir un tableau plus fourni et plus précis de ce que fut la colonisation française. (…) Il a pris la peine de s’informer aussi sérieusement que possible, mais ce qui lui importe, c’est de dégager de cette information une idée à la fois claire et équilibrée d’un épisode qui nous est devenu largement opaque. J’ajoute qu’il a dans cette démarche un intérêt personnel, en tant que Marocain d’origine et descendant d’ex-colonisés. Ces racines lui permettent d’appréhender la question de l’intérieur, sur la base d’une expérience familiale et d’une connaissance intime des sociétés qui ont été concernées par la domination coloniale. Cela n’en donne aussi que plus de mérite à sa liberté de ton et à son souci de justice par rapport aux clichés simplistes de la critique décoloniale.

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Driss Ghali retrouve, sans le mentionner, l’esprit de pages jadis fameuses de Marx sur cette ambiguïté terrible. Oui, la colonisation anglaise de l’Inde fut une entreprise atroce, écrivait Marx en substance, mais une émancipation a néanmoins cheminé au travers de cette inhumanité, par rapport à la chape de plomb d’une tradition non moins oppressive sur un autre plan. Le rappel sans fard de ce qu’étaient le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Indochine avant la colonisation française auquel procède notre auteur remet utilement les pendules à l’heure. C’est la question qu’il ne faut pas se lasser de poser aux dénonciateurs de l’horreur coloniale, une fois dûment enregistrés les faits qu’ils allèguent à juste titre : où en était-on avant ?

Oui, la colonisation s’est accompagnée de « crimes contre l’humanité ». Suit-il qu’elle se réduit à ces crimes ? Les sociétés qu’elle a soumises étaient-elles exemptes de tels crimes ? La traite intra-africaine, qui n’a pas attendu les Européens pour prospérer, était-elle ou non un crime contre l’humanité ? Oui, la colonisation a brutalisé les sociétés qu’elle a touchées. Mais jusqu’à quel point les a-t-elle pénétrées et marquées ? Et où en seraient-elles sans l’empreinte de la colonisation ? Oui, la colonisation a été une entreprise de prédation qui a permis l’accumulation de fortunes indues. A-t-elle fait pour autant la prospérité des méthodes impérialistes ?

La vérité, s’agissant en tout cas de la colonisation française, est qu’elle a coûté plus qu’elle n’a rapporté. La vérité, de la même façon encore, est que la colonisation a été une affaire des élites qui a laissé largement les peuples indifférents, sûrement pas une mobilisation générale de l’esprit de domination qui témoignerait des propensions criminelles de la modernité occidentale. Driss Ghali n’élude aucune question et il apporte sur toutes les éléments, à charge et à décharge, qui permettent de se prononcer en connaissance de cause, loin de toute dénégation vertueuse comme de toute démonologie facile.

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Ce contentieux colonial est un cancer dont il y a urgence à se délivrer, tant au Nord qu’au Sud. Au Nord, chez nous, il envenime la question migratoire qui n’en a pas besoin pour être épineuse. Il entretient des descendants lointains de colonisés dans une conscience victimaire qui constitue le pire obstacle à l’adoption de leur société d’accueil. Et au Sud, pire encore, pour une bonne partie des pays ex-colonisés, la dénonciation des méfaits du colonialisme est le moyen commode de s’exonérer de toute responsabilité dans l’échec assez général des indépendances. Pas tous ces pays, Driss Ghali le fait judicieusement remarquer : le Vietnam avance et se développe sans perdre son temps en cérémonies d’exécration du diable colonial d’où vient tout le mal. Mais au Maghreb comme en Afrique subsaharienne, en revanche, le retranchement derrière l’excuse coloniale est le bouclier rêvé pour se dispenser d’autocritique. Or, il n’y aura sans elle ni vrai développement ni démocratisation sincère.

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Marianne

Quatrième de couverture :

Si vous croyez que la France s’est enrichie aux colonies, vous vous trompez, car la colonisation a été une très mauvaise affaire du point de vue économique et financier.
Si vous croyez que les quelques milliers de kilomètres de route et de canaux d’irrigation légués par la France avaient de quoi assurer le décollage économique des colonies, vous vous trompez aussi, car la France a très peu investi dans son empire, par manque d’argent et de volonté politique.
Le problème est simple à énoncer, mais il est interdit d’en parler : l’histoire de la colonisation est la « propriété privée » de lobbies, français et étrangers, qui n’ont aucun intérêt à ce que la vérité soit connue des Français, des Maghrébins et des Africains.
C’est pour cela que j’ai écrit ce livre, véritable antidote contre la désinformation et la pensée unique. Il explose les cloisons mentales qui dissimulent la véritable histoire de la colonisation française. Et vous libèrera des mensonges institutionnels qui servent des intérêts qui ne sont pas les vôtres. Il vous permettra d’argumenter efficacement avec des gens de bonne et de mauvaise foi.
Diplômé des Grandes Ecoles (Centrale Paris, EDHEC), Driss Ghali est spécialiste des relations internationales et intervient au Maroc, au Brésil et en France.

Contre-Histoire de la Colonisation Française

Description du livre :

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »
Franz Fanon

Vis-à-vis de la France, la génération actuelle a pour mission d’inventer une nouvelle formule de gouvernement. Une formule qui convienne à un vieux pays devenu soudainement multiracial et multiconfessionnel. Une formule qui embrasse les nouvelles réalités démographiques sans casser la société. Une formule gagnante qui assure la puissance, le bonheur collectif et la prospérité.

Pour l’instant, cette formule n’existe pas, même si tout le monde fait semblant que tout va bien. Les alarmes sonnent mais l’équipage se saoule sur le pont et chante en coeur que la République Française a réponse à tout.

Ni les Français de souche, ni les Français de branche n’ont vocation à participer à un naufrage collectif. Pourtant, les chances sont grandes pour que les jeunes qui ont aujourd’hui entre vingt et trente ans assistent ou participent même à la dislocation de la France. Il leur appartient de conjurer le sort pour ne pas être la génération-fléau, celle qui a vu venir le danger et n’a rien fait, celle qui a préféré cracher dans la soupe au lieu de préserver l’héritage.

Je suis sérieux, les ingrédients sont là soit pour une guerre civile, soit pour un lent détricotage de la nation française, écartelée entre les égoïsmes minables des uns et des autres.

Pour paraphraser Fanon, cité en exergue de ce propos : le contexte est opaque, mais la mission est claire. Elle est évidente même. Elle fait peur surtout, car il n’existe pas de formule sur étagère pour régler le problème. D’où la tentation de fuir vers le passé à la recherche de coupables parmi les morts et les disparus. On n’y risque rien car un cadavre ne rend pas les coups de pied. Il comparaît silencieusement devant le tribunal de la mémoire qui tient session chaque jour, samedi et dimanche compris.

Poussés par leurs aînés, les jeunes d’aujourd’hui mordent à pleines dents dans la chair en décomposition. D’un côté, ceux qui accusent leurs ancêtres d’avoir colonisé. De l’autre, ceux qui se présentent comme les victimes du colonialisme, bien qu’ils n’aient jamais vu de colon de leur vie, ni connu ne serait-ce qu’une seule journée d’occupation étrangère. Dans les deux cas, ce sont des lions en puissance qui se comportent comme des hyènes.

Ils sont poussés au crime par des lobbies puissants. Ces officines de la haine chantent en choeur la nécessité du devoir de mémoire. Elles ont intérêt à porter à incandescence la question coloniale. Telle une nuée de criquets, partout où elles passent, elles amènent la dévastation. Elles ne fécondent rien, elles pondent la dissension et le malaise entre les frères et les soeurs.

L’establishment ou une partie de celui-ci met en avant des losers professionnels dont le seul métier est d’être Arabes et Noirs. Protégés de toute critique sérieuse, ils se croient talentueux et défilent à la télévision, grisés par leur « victoire » idéologique. Ces nigauds se prennent pour Martin Luther King alors qu’ils sont les paladins du système. Ce sont des talents sur pilotis. Vous leur enlevez leurs parrains, ils s’écroulent.

Ce livre est un antidote au poison distillé par ces apôtres de la mauvaise foi. Il prétend offrir une synthèse dépassionnée de la colonisation française. Il propose d’aller au fond des choses sans se perdre dans les querelles d’historiens. Il est conscient que la société cherche des réponses audacieuses à des questions simples. Des réponses exprimées clairement et sans que l’auteur ne se drape derrière une fausse neutralité.

Il est habité par l’urgence de tourner la page pour se consacrer corps et âmes à ce qui importe, c’est-à-dire à la mission véritable de cette génération.

Tourner la page ne veut pas dire effacer l’oppression et l’injustice. Cela ne signifie pas non plus monter la garde autour des traumatismes. Il s’agit de s’élever à la hauteur des faits pour les regarder les yeux dans les yeux, sans ramper par terre comme un animal blessé ni se placer en surplomb tel un demi-Dieu arrogant. Agir et penser comme un adulte, tout simplement.

Que l’on me traite de collabo ou de traître. Peu m’importe. Je préfère livrer le combat de mon époque que de m’approprier les luttes de ceux qui sont morts et enterrés. Mon arrière-grand-père a guerroyé contre la France lors de la conquête du Maroc, il a perdu, la messe a été dite. Ses fils sont passés à autre chose, ils ont travaillé, fait des enfants et attendu la bonne occasion pour se rebeller, elle ne s’est pas présentée, tant pis. Parmi eux, mon père qui a été le seul de sa famille à fréquenter les bancs de l’école communale. Il s’est ensuite faufilé dans le lycée français de Marrakech, interdit aux musulmans à l’époque. Il y a obtenu son baccalauréat en 1956 l’année où la France annonçait son départ du Maroc. Sans tergiverser, il s’est mis au travail pour le compte des nouvelles autorités marocaines. Avec des bouts de ficelle, il a fait des miracles dans son domaine : l’audiovisuel. Mon père n’a jamais songé à demander des réparations à la France ou à lui attribuer ses difficultés.

Je n’ai pas le droit de rouvrir les blessures que mes ancêtres ont cicatrisées.

Cet ouvrage risque de déplaire à quelques historiens qui diront que je n’ai pas leurs diplômes, donc que je manque de légitimité. Il risque également d’irriter certains militants, de gauche comme de droite, qui n’y trouveront pas le manichéisme qui permet de distinguer les bons des méchants, avec un coup de baguette magique.

Je réponds préventivement à ces deux critiques que je suis un simple citoyen qui n’a pas de temps à perdre. Il faut en effet sauver la France. Or, ni les historiens ni encore moins les militants n’ont apporté un récit qui puisse désactiver la question coloniale et en neutraliser les effets toxiques. Pour combler le vide et répondre à l’urgence, il est licite qu’un homme normal tente de se rendre utile à ses semblables en explorant, malgré ses limitations, un champ aussi complexe que celui de la colonisation. Au fond, il ne s’agit rien d’autre que de faire revivre l’idéal de l’honnête homme dont la France s’est malheureusement éloignée, ensorcelée par deux imposteurs : l’intellectuel mondain qui produit de la posture et l’expert spécialisé qui produit du bruit. L’honnête homme, lui, est un généraliste qui travaille et qui n’a pas peur d’aller au fond des choses. Il est souverain, car il revendique et exerce sa capacité à apprendre par lui-même. Comme l’homme d’entreprise, il est tendu vers l’action qui résout les problèmes et crée de la valeur. Pour le dire autrement, l’honnête homme ne prospère pas sur le malaise, il préfère se rendre utile.

Quelques précisons à propos de la méthode
Pour des raisons de lisibilité et de simplicité, ce livre se limite à la colonisation française la plus proche de nous, celle qui a englouti l’Indochine, le Maghreb et une grande partie de l’Afrique noire. Elle démarre à la prise d’Alger en 1830, se termine en 1962 et projette ses ramifications jusqu’à l’époque actuelle.

D’autres territoires ont été saisis par la France dans les siècles antérieurs dont la Réunion, la Guyane et les Antilles. Quoi que cette histoire soit fascinante à plus d’un titre, je me garderai de l’effleurer car les colonies acquises par l’Ancien Régime ont participé d’une logique tout à fait différente de celle qui a animé la colonisation après la Révolution. Elles sont le fruit d’une vision mercantiliste du monde, orientée vers la promotion des intérêts des négociants et des planteurs. Avec la prise d’Alger en 1830, démarre une colonisation d’un autre type, qui ne joue pas franc jeu et qui dissimule ses motifs véritables derrière des éléments de langage comme la mission civilisatrice. Les Rois de France avaient au moins le mérite de ne pas travestir les motivations réelles de leur politique coloniale. Nous y reviendrons amplement dans ce livre.

Nous négligerons l’expérience syrienne et libanaise, conscients qu’il s’agit d’une histoire à part dans l’histoire générale de la colonisation française. De même, les comptoirs français en Inde, minuscules et excentrés par rapport à la vie globale de l’empire, ne seront pas au menu de cette étude. Que le lecteur veuille bien nous pardonner ce parti pris.

Le plan suit une perspective chronologique, facile à accompagner.

  • Première partie : le mythe du paradis perdu
  • Deuxième partie : aux origines d’une idée folle (1830-1905)
  • Troisième partie : une mauvaise affaire (1905-1954)
  • Quatrième partie : une formalité nommée décolonisation (1954-1962)
  • Cinquième partie : l’empire contre-attaque (des années 1960 à nos jours)
  • Sixième partie : Que faire ? Pleurer le passé ou sourire à l’avenir ?

L’étude se prolonge donc au-delà des années 1960, la colonisation s’étant diluée dans notre histoire immédiate. Elle a pris le visage de rapports de domination et de solidarité inédits, aux conséquences incalculables (et non calculées).

Au cours de l’élaboration de ce livre, je me suis fait violence pour éliminer ou du moins atténuer mon biais pro-Français. Je ne suis pas sûr d’y être parvenu. En tout cas, j’ai changé d’avis à plus d’un titre, notamment en ce qui concerne l’Algérie où je suis bien moins indulgent avec la France que je ne l’étais au commencement de ma démarche. Changer d’opinion est un luxe accessible à celui qui a le temps d’étudier et de se documenter. Exercez-le et n’ayez-pas peur de faire amende honorable. Puisse ce livre vous aider dans ce sens.

Enfin, gardons une dose d’humilité au moment de juger des faits accomplis par d’autres que nous et à une autre époque que la nôtre. S’il est souhaitable de cultiver un sens aigu du Bien et du Mal, il serait malvenu de distribuer des bons et des mauvais points à des personnages qui ont fait preuve d’un courage, d’une résilience et d’une culture qui ne sont pas le lot du commun des mortels. Attention à ne pas verbaliser des géants du haut d’un strapontin.

Les termes indigènes et autochtones seront utilisés dans leur acception originelle, sans aucune charge péjorative. Quand j’écris noir, arabe et jaune, je me réfère à une race et à une couleur de peau, je ne rabaisse ni n’exalte personne.

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