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Le 8 mars, à l’occasion de la Journée des droits des femmes, le nom de cette historienne a été donné au bâtiment des Archives départementales de Bobigny. Enseignante à Paris XIII-Villetaneuse à la fin des années 70, elle fut l’une des premières à questionner la construction de faux mythes nationaux type « Nos ancêtres les Gaulois ».

Quoi de plus logique que de donner un nom d’historienne à des archives ? Et quand il s’agit d’une des premières femmes en France à avoir pointé du doigt le fait que l’histoire était un peu trop écrite par les puissants, cela relève un peu plus de l’évidence.

« Suzanne Citron a été l’une des pionnières de la déconstruction du roman national, rappelle Laurence De Cock, elle-même historienne à l’université Paris-Cité qui a bien connu celle qu’elle considère comme une source d’inspiration. Dans « Le Mythe national », un ouvrage fondateur qu’elle écrit en 1987, elle s’empare de tous les manuels scolaires de la 3e République jusqu’aux années 80 pour montrer comment s’est construit le roman national, en invisibilisant pour cela d’autres pans de l’histoire de France moins glorieux. »

Comme le colonialisme par exemple, dont Suzanne Citron a toujours estimé qu’il était enseigné de manière très incomplète, en dépit d’améliorations récentes.

L’histoire de cette femme brillante et aux fortes convictions est en fait celle d’une désillusion par rapport à une République qu’elle rêvait peut-être plus exemplaire. Née en 1922 à Ars-sur-Moselle dans une famille française de tradition juive, Suzanne Grumbach – son nom de jeune fille – va connaître un premier choc avec la défaite de juin 1940, les pleins pouvoirs donnés à Pétain et les lois raciales édictées par le régime Vichy.

Celle qui termine alors sa scolarité au lycée Molière à Paris passe en zone libre à Lyon, où elle entame des activités de résistante. Mais le 25 juin 1944, elle est arrêtée par la Gestapo et internée au camp de Drancy. « Elle échappe alors au dernier convoi partant pour Auschwitz le 31 juillet 1944, ce qu’elle a toujours considéré comme un miracle. Ca lui a donné énormément de force pour la suite de sa vie. », témoigne Laurence De Cock.

Et de la force, Suzanne en aura. Pour enseigner 20 ans durant au lycée d’Enghien-les-Bains, élever 4 enfants – François, Dominique, Claude et Marianne – qu’elle a eus avec l’universitaire et musicologue Pierre Citron, et donc réfléchir à la manière dont l’histoire s’enseigne dans les écoles françaises. « La guerre d’Algérie notamment l’avait beaucoup choquée. Quand elle a appris qu’on y pratiquait notamment la torture, cela a réveillé en elle des choses qui l’insupportaient. Et voyant que dans les écoles l’enseignement de la colonisation restait encore très aseptisé, elle s’est demandé comment y remédier », raconte encore Laurence De Cock qui aura connu l’historienne au début des années 2000 au sein du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire (CVUH), avant de se lier d’amitié avec elle.

Après 10 années d’enseignement à la fac de Paris XIII-Villetaneuse, où elle formait par ailleurs gratuitement des professeurs à la manière d’enseigner l’histoire, Suzanne Citron prend donc la plume pour écrire « Le Mythe national. L’histoire de France revisitée », qui dénonce le fait que l’on résume l’histoire de France à une sorte de récit aux images d’Epinal : Vercingétorix, Charlemagne ou Jeanne d’Arc…

J’ai trouvé dans l’histoire scolaire, une histoire de la raison d’État“, explique-t-elle notamment au sujet de son ouvrage, ayant notamment à l’esprit les nombreux crimes coloniaux commis par la France – massacres à Madagascar en 1947, torture en Algérie, meurtres policiers couverts par Papon en 1961 – longtemps occultés dans les livres d’histoire.

Plaidant pour une histoire de France qui intégrerait pleinement l’histoire de l’immigration et la rendrait un peu plus diverse, non assignée à une identité nationale, « Le Mythe national » connaît une seconde jeunesse quand, en 2017, Laurence De Cock l’offre sur le plateau de l’Emission politique à François Fillon, alors candidat de la droite aux élections présidentielles.

Le 8 mars, 5 ans après le décès de Suzanne Citron, il y avait donc de l’émotion autour du bâtiment des Archives départementales de Bobigny. « Je pense que si elle avait su que son nom serait un jour associé à des archives, ça aurait fait très plaisir à ma mère. Car la notion d’archives était pour elle très importante. L’histoire et la réforme de son enseignement, c’était vraiment sa grande cause », témoignait à son tour François, son fils aîné.

Et que cette nomination se fasse en Seine-Saint-Denis, territoire cosmopolite par excellence, fait d’autant plus sens…

Le Mag Seine-Saint-Denis

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