Fdesouche

Dans un livre à paraître le 8 mars, les journalistes Célia Lebur et Joan Tilouine s’intéressent aux organisations criminelles nigérianes baptisées les « cults ». Leur enquête, qui dévoile les coulisses de l’un de ces gangs, les Vikings, les a conduits jusqu’en Italie et à Marseille. « Le Monde » en publie des extraits.


Bonnes feuilles. Lorsque les policiers commencent à travailler sur les cultists Vikings, à l’été 2019, ceux-ci se sont déjà constitué un petit territoire à Marseille. L’épicentre de cette principauté s’appelle le Palace mais le pavillon n’a rien du faste tapageur des villas à colonnes dont raffolent les nouveaux riches de Benin City [ville du Nigeria considérée comme le fief des cults, où les auteurs se sont rendus pour enquêter]. C’est une modeste propriété à l’abandon qui accueillait autrefois les bureaux d’une société de traitement de déchets. Dans cet ancien quartier ouvrier du 15arrondissement de Marseille, des casses de voitures un peu louches côtoient des parkings de camions poubelles et des résidences bordées de maisonnettes décaties. Le Palace des Vikings se fond dans le décor maussade du chemin de la Commanderie qui longe sans l’apercevoir le ruisseau des Aygalades. Le portail gris corrodé par la rouille ouvre sur un mur recouvert d’un graffiti délavé et un jardin arboré envahi par les mauvaises herbes. La plupart des fenêtres ont été condamnées et le toit perd ses tuiles, mais le squat s’avère plutôt spacieux avec une dizaine de pièces sur deux niveaux.

Le « Doctor One » du cult, autrement dit le chef du gang, se nomme Yakubu. Il réside par intermittence au Palace, parmi ses troupes. Tout le milieu nigérian de Marseille connaît et craint celui qu’on appelle « Number One Man ». Le lascar de bientôt 25 ans a pourtant un visage doux et rieur, des tresses courtes et soignées. Père d’un nourrisson, « l’amour de sa vie », il porte plutôt beau avec une tendance à se vêtir de rouge, la couleur sacrée des Vikings. Yakubu commande le « pont » (« deck ») marseillais, l’une des cellules du « navire » (« ship ») français des Vikings. L’architecture du groupe comme sa volonté d’expansion territoriale puise son inspiration dans la mythologie des pillards et farouches navigateurs scandinaves qui ont déferlé sur les villes européennes il y a près d’un millénaire. Leurs lointains admirateurs ouest-africains sont, eux, nés sur les rives du golfe de Guinée, dans le delta pétrolier du Niger aux eaux polluées et infestées de pirates qui attaquent les tankers comme les pipelines.

La branche marseillaise du cult compte une centaine de membres actifs dans le proxénétisme, le trafic de drogues et de migrants. Ils reversent à Yakubu une cotisation mensuelle d’une trentaine d’euros. A ses côtés figure l’« Akman », soit son adjoint et successeur putatif. Il s’appelle Dammy. De dix ans son aîné, avec ses dreadlocks tissées de fil rouge et son faible pour les tenues militaires, il a plus l’allure du rastaman perverti, toujours prêt à monter un sale coup. Yakubu peut aussi compter sur l’« Intelligence Chief », le chef du renseignement chargé de surveiller l’activité des gangs rivaux, des caïds des cités et de la police. Un samedi ensoleillé de juillet 2019, ce maître espion cultist monte une opération qui, par sa violence, va placer les Vikings et leur commandement dans le collimateur des policiers marseillais pour de longues années. Il dépêche l’une de ses émissaires en ville pour attirer sa proie jusqu’au Palace.

www.lemonde.fr

Fdesouche sur les réseaux sociaux