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Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre de Jacques Chirac de 2002 à 2005, publie le 23 février Ne sortons pas de l’Histoire (éditions Michel Lafon). Un tableau noir de l’état du monde et de l’Europe, prise en tenaille par la « tension sino-américaine ». Le monde va mal, rappelle ce spécialiste de la Chine, il faut donc de toute urgence définir une robuste stratégie européenne, qui passe selon lui par une coordination renforcée dans la défense de la planète. De Greta Thunberg à Edgar Morin, en passant par Rammstein, Jean-Pierre Raffarin propose donc un livre d’action autant qu’un manifeste pour « redonner voix à l’Europe ». Après la réforme des retraites, Il souhaite que le locataire de l’Élysée impulse un nouvel élan et invente une « nouvelle politique » pour contrer Marine Le Pen. « Il faut réagir », dit-il. Et avec « audace ». Jean-Pierre Raffarin est depuis janvier 2018 administrateur indépendant de la filiale chinoise du groupe Plastic Omnium.

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Une fois la réforme des retraites derrière lui, le président semble désireux d’ouvrir le chapitre des institutions. Est-ce pertinent ?

Notre système politique doit être refondé. Il nous faut une démocratie politique plus efficace, plus vivante, un Parlement plus fort, avec, par exemple, un découplage des élections législatives et présidentielle par un mandat de quatre ans pour les députés. Il y a une démocratie locale à revoir avec davantage de décentralisation et une démocratie sociale à renforcer.

Dans votre livre Ne sortons pas de l’Histoire, vous insistez sur le besoin de cohésion sociale dans le pays…

Si l’on veut éviter le projet Le Pen, il faut que dans les deux ans qui suivent la réforme des retraites il y ait un choc d’initiatives qui change la donne. Il faut réagir. J’appelle le président à un choc réformateur qui soit à même de répondre aux attentes des Français. Il a quatre ans pour inventer une nouvelle politique et contrer Le Pen. Aujourd’hui, ce serait coupable de l’affaiblir. Il a dit lui-même que ce mandat ne serait pas celui de la continuité. La France doit retrouver un leadership mondial en investissant dans un petit nombre de domaines. Je cite dans mon livre le nucléaire et le ferroviaire. Secteurs dans lesquels nous avons été champions. Pour cela, nous devons dépasser l’immédiat. Car à force de traiter les sujets urgents, nous manquons de vision et d’influence. Nous ne sortirons pas des difficultés sans projeter un horizon. Sinon, vous traitez le problème des boulangers, et vous avez le problème des bouchers qui surgit ! « Quand l’immédiat dévore, l’esprit dérive », dit Edgar Morin. Cette devise devrait être inscrite en lettres d’or dans les lieux de pouvoir…  […]

Un accord de gouvernement entre Emmanuel Macron et les LR serait-il souhaitable ? C’est ce à quoi pousse Nicolas Sarkozy…

Je ne suis pas favorable à un accord sur un coin de table. Il faudrait s’enfermer plusieurs semaines pour sortir un accord de gouvernement, comme en Allemagne. Ce processus pourrait être possible car, le président ne se représentant pas, il n’est pas un obstacle à cela. Les leaders de l’opposition souhaitant travailler avec lui ne seraient pas gênés par sa candidature. Des initiatives de cette envergure avec un gouvernement de coalition et une majorité claire à l’Assemblée pourraient changer la donne. Il faut bousculer le système et choisir l’audace. Sinon, on aura Le Pen. […]

Vous écrivez que les « Gilets jaunes », justement, ont été traités à coups de milliards d’euros, mais que le problème n’est pas réglé. Qu’aurait-il fallu faire ?

Là où la violence avance, la politique recule. Quand les gens s’insultent, il n’y a pas de débat. On ne peut pas se satisfaire d’un système politique qui génère ou tolère la violence. L’idée du président pour une refondation était une très bonne idée : il faudra passer à l’acte. Il est légitime d’accuser les fauteurs de troubles, ceux qui ont des propos violents. Mais il faut se dire que les procédures ne sont pas innocentes des comportements. Il faut réfléchir à une démocratie où on amortit les tensions en multipliant les espaces locaux et sociaux de débats. Il faut aussi de l’autorité pour apaiser le peuple. On peut contester celle de Macron, mais aujourd’hui, qui a une meilleure équation que la sienne, notamment quant à l’expérience et à la jeunesse ? Je ne regrette pas mon choix du printemps dernier. […]

La situation politique, avec cette majorité relative qui pousse le gouvernement à des compromis fragiles tantôt à droite, tantôt à gauche quand il ne déclenche pas le 49.3, vous semble-t-elle tenable ?

Ce qui est tragique, c’est qu’on ne voit pas de scénario réaliste. Une dissolution donnerait une Assemblée encore plus ingouvernable. La réponse à un référendum serait spontanément contre le gouvernement. Tout le monde joue aux fléchettes avec Macron, mais quel est le scénario alternatif ? Si je rêve un peu, je vois une seule majorité possible : celle de l’alliance du centre et de la droite républicaine.

Quel scénario nous ferait « sortir de l’Histoire » ?

La guerre ! Et… si les États-Unis et la Chine passent un accord sur notre dos. Quand on voit la vitesse à laquelle les sociétés se détruisent… Les sociétés sont capables de revenir en arrière. Ma génération a cru le progrès irréversible. En fait, ce sont des allers et retours sur la route de la civilisation. Il nous faut faire des choix clairs sur nos priorités et en discuter. La démocratie doit traiter des sujets de plus en plus complexes avec des opinions publiques qui veulent des choses de plus en plus simples. Les simplistes ou les populistes sont incapables de traiter la complexité. Et il existe des gens complexes incapables de faire comprendre quelque chose à l’opinion publique. J’ai noté que certains reprochaient à Jean-Luc Mélenchon de dîner au restaurant Le Train Bleu… On trouve toujours plus populiste que soi !

Le Point

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