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Ces trois Népalais de 20, 22 et 32 ans sont nés sur ces terres de l’extrême sud du pays, mais ils y vivent aujourd’hui comme des immigrés clandestins. «Je ne peux pas ouvrir de ligne téléphonique ou de compte en banque à mon nom, hériter des terres de mes parents, avoir un permis de conduire ou un travail légal», énumère, désespéré et le regard sombre, Suraj Chaudhary, celui du milieu. L’administration refuse de lui fournir un certificat de citoyenneté, document indispensable pour se voir octroyer la nationalité népalaise. Comme ses amis d’infortune, Suraj est apatride dans son propre pays. «Ma mère est népalaise, mais mon père est indien, donc les autorités ont refusé de me reconnaître comme népalais.» Le Népal a une conception patriarcale de la transmission de la nationalité népalaise : selon la Constitution de 2015, toute personne née de père népalais obtient la nationalité automatiquement par le droit du sang, alors que si la mère est népalaise et le père étranger, l’enfant ne peut prétendre qu’à une «naturalisation», souvent compliquée, voire impossible à obtenir. Elle dépend du bon vouloir d’une administration tatillonne et elle-même patriarcale.

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Ses deux parents sont pourtant népalais, mais son grand-père paternel ne l’était pas, ce qui a justifié un refus de l’administration. Une étrange et restrictive interprétation de la loi, qui serait particulièrement appliquée à la population des provinces frontalières de l’Inde. Physiquement, ces Népalais des plaines ressemblent davantage aux Indiens qu’aux Népalais des montagnes de Katmandou, aux yeux plus bridés. Arjun Kumar Sah, le vétéran du trio, âgé de 32 ans, a une expérience parlante et traumatisante de cette discrimination. «Quand je suis allé réclamer mon certificat de citoyenneté, le responsable administratif du district m’a renvoyé brutalement, en me lançant : “Vous, les Indiens, vous voulez envahir notre pays et devenir plus nombreux que nous. Vous voulez nous remplacer pour nous diriger !”»

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Le gouvernement népalais ne communique pas de chiffres sur le nombre de personnes affectées – et refuse même de parler d’«apatrides» – mais une étude du Forum pour les femmes, la loi et le développement a calculé qu’en 2011, 23 % de la population de plus de 16 ans ne disposait pas de certificat de citoyenneté, ce qui la prive de ses droits civiques, comme enregistrer un mariage ou une naissance, voter ou ouvrir un compte en banque. La situation législative n’ayant pas évolué depuis, l’association estime qu’environ 6,7 millions de Népalais vivent aujourd’hui dans cet enfer administratif perpétuel, qui détruit leurs rêves d’avenir.

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Pour Bhim Rawal, député du PCN-MLU et ancien ministre de l’Intérieur, cette précaution peut se justifier : «Cette question de l’accès à la citoyenneté a un enjeu géopolitique important, car le Népal est entouré par les deux pays les plus peuplés du monde, l’Inde et la Chine. Nous devons donc être très vigilants vis-à-vis de cette question démographique.» Cette crainte de l’invasion, voire du «remplacement», est particulièrement dirigée contre les Indiens, car la frontière indo-népalaise est ouverte, sans besoin de visa pour la traverser, et que les deux populations sont culturellement très proches – même religion hindoue majoritaire et langue similaire. Les échanges et les unions sont donc courants. A la différence de la Chine, dont la frontière est filtrée, l’accès bloqué par la chaîne de l’Himalaya et avec qui la culture est éloignée. Les mariages entre Népalais et Chinois sont donc rares.

Libération

Merci à Pierre.

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