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Il aura fallu le long travail d’un généalogiste du Morbihan pour reconstituer l’histoire des cinq frères Sauvée. Originaires de Cintré, en Ille-et-Vilaine, ils partent au combat en 1914. Trois d’entre eux sont tués sur les champs de bataille en mai 1915. Un autre meurt en 1916 à Verdun après avoir refusé d’être éloigné des combats. Un seul fils, Désiré, reviendra de l’enfer des tranchées. Récit.

Excusez-moi, je suis très ému“. A l’autre bout du fil, Roger Sauvée marque une pause dans le récit familial. L’homme, âgé de 73 ans, a découvert, il y a peu, l’histoire de Désiré, son grand-père paternel, d’Isidore, Eugène, Pierre et Jean-Marie, ses grands-oncles.

Cinq frères qui, en 1914, enfilent l’uniforme et sont envoyés au front. Cinq fils qui laissent derrière eux leurs parents, agriculteurs à Cintré, en Ille-et-Vilaine, leurs épouses et enfants. Trois d’entre eux tomberont pour la France au mois de mai 1915. Le quatrième mourra à Verdun en 1916.

Seul survivant, le grand-père de Roger revient à Rennes en 1917, affaibli par des problèmes de santé. “Il est mort à 55 ans, en 1936, relate son petit-fils. Et mon père est mort quand j’avais 13 ans. A partir de là, les contacts avec la branche paternelle ont été très épars. Ce qui explique que je n’ai jamais eu connaissance de tous ces événements tragiques“.

C’est en 2018 que Roger Sauvée entame ses premières recherches, à la faveur d’une discussion avec l’association des anciens combattants de Cintré. Il se souvient vaguement des Rosty chez lesquels ses parents l’avaient emmené quand il était enfant. Il retrouve leurs traces, tout du moins celle des descendants. “Et là, le choc, raconte-t-il. J’avais face à moi les petites-filles d’Isidore, le frère de mon grand-père. Je ne savais même pas que les Rosty faisaient partie de ma famille“.

Cousin et cousines évoquent la Première Guerre mondiale. “Elles en savaient beaucoup sur Isidore, indique Roger. Leur grand-mère paternelle et leur mère ont parlé de tout cela avec elles. C’est là que je me suis dit qu’il était temps que je me penche sur le passé“.

Roger ne sait pas trop par où commencer pour remonter le fil de l’histoire des Sauvée. Un patronyme qui met la puce à l’oreille de Didier Lambard. Hasard ou pas, le généalogiste, installé dans le Morbihan, a lui aussi des ascendants qui s’appellent Sauvée. “Et comme cela faisait longtemps que je m’intéressais à ce nom, très courant dans le nord-ouest de Rennes, j’ai tout de suite plongé dans l’histoire des cinq frères“.

Didier Lambard récupère des documents de l’Etat civil, fouille les archives militaires et finit par reconstituer le puzzle. Un travail de mémoire minutieux qui met au jour le drame vécu par cette famille de Cintré.

Jean-Marie, soldat au 132e régiment d’infanterie, est le premier des frères Sauvée à être blessé sur le champ de bataille de Verdun. Il meurt le 6 mai 1915, à 19 ans, dans un hôpital militaire.

Trois jours plus tard, Eugène, 27 ans, soldat au 41e régiment d’infanterie de Rennes, est tué à Roclincourt, dans le Pas-de-Calais.

Pierre, soldat au 70e régiment d’infanterie de Vitré, blessé à Roclincourt, repart au front le 17 mai 1915. Il perd la vie le 30 mai. “En mai 1915, explique Didier Lambard, les deux régiments avaient l’habitude de se relayer régulièrement. Eugène et Pierre se sont forcément croisés sur le front”.

Reste Isidore à qui l’armée propose d’être éloigné des combats, “puisque trois de ses frères sont morts, rappelle le généalogiste. Cela fait penser au film, “ll faut sauver le soldat Ryan”, sauf qu’il s’agit avant tout d’une tradition militaire“.

Isidore refuse. Le canonnier, affecté au 107e régiment d’artillerie lourde-hippomobile, rend son dernier souffle le 21 juin 1916 à Verdun. Il est décoré à titre posthume de la Médaille militaire en 1919 avec cette citation : “ayant eu trois frères tués à l’ennemi, a demandé à rester sur le front, très courageux, a servi sa pièce toute une journée d’un bombardement très violent”.

Lorsque Roger Sauvée prend connaissance de tous ces éléments, l’émotion est immense. “Savoir que trois de mes grands-oncles sont morts dans le même mois et au même endroit, ça fiche un coup, dit-il. Mais il y a encore des blancs dans l’histoire car on ne sait pas où Eugène et Pierre sont enterrés“. Didier Lambard continue de chercher.

Le généalogiste a pu déjà établir qu’Isidore est inhumé à la nécropole nationale de Douaumont, dans la Meuse. “Tombe numéro 4939” précise-t-il. Jean-Marie, lui, repose à la nécropole nationale du Faubourg-Pavé, à l’est de Verdun, “carré 14-18, tombe numéro 2585” ajoute Didier Lambard.

Sur le Monument aux morts de Cintré, figurent seulement les noms de Pierre et Jean-Marie, les deux frères célibataires qui vivaient dans la commune lorsque la guerre a éclaté. “Eugène et Isidore, tous les deux mariés, habitaient respectivement à Monterfil et Breteil, relève le généalogiste. Voilà pourquoi ils sont inscrits sur le Monument aux morts de ces deux villages d’Ille-et-Vilaine“.

C’est pourtant bien aux quatre frères Sauvée que Cintré rendra hommage ce 11 novembre, jour de commémoration de la signature de l’armistice de 1918. “Nous voulons rappeler le sacrifice de la famille Sauvée, souligne Yannick Folgoas, président de l’association des anciens combattants. Quatre fils morts au combat, c’est un drame que l’on ne doit pas oublier“.

Roger Sauvée fera le voyage jusqu’en Bretagne pour la cérémonie. Au nom du grand-père et des grands-oncles.

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