Fdesouche

GRAND ENTRETIEN – L’historien des idées et directeur de recherche honoraire au CNRS dresse le portrait-robot idéologico-politique du nouveau ministre de l’Éducation nationale. Les prises de position de Pap Ndiaye témoignent, selon lui, de son «ouverture» aux courants idéologiques décoloniaux.

La nomination de Pap Ndiaye au poste de ministre de l’Éducation nationale a fait couler beaucoup d’encre. Que vous inspire-t-elle?

J’ai tout d’abord éprouvé un sentiment de stupéfaction, voire de sidération. J’aurais compris qu’un Jean-Luc Mélenchon au pouvoir nomme Pap Ndiaye à ce poste. Mais comment comprendre que le président Macron puisse attendre d’un chantre de la «diversité», d’un dénonciateur des «violences policières» et d’un partisan de la discrimination positive à l’américaine qu’il poursuive les nécessaires réformes engagées par son prédécesseur Jean-Michel Blanquer? Il s’agissait, pour ce dernier, de redonner son sens à l’école républicaine, en se réclamant sans ambiguïté des valeurs universalistes, en défendant le principe de laïcité et en réaffirmant l’autorité des professeurs. Son projet était de rétablir les conditions de l’égalité des chances et d’assurer ainsi le bon fonctionnement de la méritocratie républicaine.

Pap Ndiaye, quant à lui, a des convictions idéologiques qu’il a rendues publiques par ses livres (comme La Condition noire. Essai sur une minorité française, publié en 2008) et ses interviews. Elles témoignent notamment d’un intérêt particulier pour les minorités qu’il suppose discriminées (les «minorités visibles»), d’une vision raciale de la société française (composée de «Noirs», de «Blancs», etc.) et de prises de position favorables à des mobilisations s’inspirant de l’antiracisme décolonial, comme celles du comité «La Vérité pour Adama», dénonçant le «racisme d’État» et les «violences policières» censées le traduire dans la rue.

On trouve certes chez cet intellectuel engagé certaines nuances. Il dénonce, dans la société française, un «racisme structurel» et non pas, comme Rokhaya Diallo ou Assa Traoré, un «racisme d’État». À propos des militants «woke», il confie à M le magazine du Monde en juin 2021: «Je partage la plupart de leurs causes, mais je n’approuve pas les discours moralisateurs ou sectaires de certains d’entre eux. Je me sens plus cool que “woke”.» Notre nouveau ministre a inventé le décolonialisme de bonne compagnie, ainsi que le «wokisme» de salon, «convenable» et pour tout dire institutionnel.

Dans La Condition noire, Pap Ndiaye ne cache pas la «dimension franco-américaine» de ses réflexions, manière élégante et allusive de reconnaître sa dette envers les studies fortement idéologisées qui fleurissent dans les universités anglo-saxonnes: African American Studies, Black Studies, Postcolonial Studies, etc. Il a rejoint la cohorte des universitaires militants qui, depuis les années 1990, ont trouvé dans l’antiracisme identitaire à l’américaine un substitut au marxisme: les «races» discriminées ont remplacé les prolétaires exploités. En se proposant d’ouvrir un «champ d’étude qui pourrait devenir celui des Black Studies à la française», Pap Ndiaye s’est risqué à transposer en France des modèles d’analyse empruntés à la boîte à outils états-unienne impliquant des engagements politiques «radicaux» dont il s’est efforcé d’arrondir les angles.

Il est soupçonné par toute une partie de la droite, mais aussi de la gauche républicaine, de vouloir faire entrer la pensée décoloniale à l’école. Comment définiriez-vous cette pensée?

Prise au sens large, la «pensée décoloniale» repose sur onze piliers: 1) tout est «construction sociale» ; 2) tout doit être «déconstruit» ; 3) tout doit être «décolonisé», étant entendu que la «décolonisation» doit s’appliquer à toutes les institutions des «sociétés blanches» et à tous les domaines de la culture occidentale ; 4) toutes les «sociétés blanches» sont racistes et tous les «Blancs» bénéficient du «privilège blanc» ; 5) le racisme, qui est «systémique», est l’héritage de la traite atlantique, du colonialisme, du capitalisme et de l’impérialisme du monde dit occidental ou «blanc» ; 6) l’«hégémonie blanche» va de pair avec l’«hétéropatriarcat» ; 7) l’«intersectionnalité» conceptualise la situation de personnes qui, appartenant à des «minorités», sont censées subir simultanément plusieurs formes de discrimination (de race, de genre, de classe) en toute «société blanche» ; 8) tout nationalisme, y compris le patriotisme républicain à la française, est porteur de racisme, donc de «discriminations systémiques» ; 9) le sionisme est une forme de racisme et Israël est un «État d’apartheid» qu’il faut démanteler ; 10) l’«antiracisme politique» consiste avant tout à lutter contre l’islamophobie et la négrophobie ; 11) ce que les islamophobes appellent l’«islamisme» n’existe pas plus que l’«islamo-gauchisme»: il n’y a que des musulmans qui souffrent de «discriminations systémiques» et sont victimes, dans les pays occidentaux, d’une islamophobie d’État.

(…) Pour reprendre les propos louangeurs tenus sur lui par sa sœur Marie Ndiaye, il s’est efforcé de se fabriquer une image attrayante de «conciliateur» et de «pacificateur», convenant à ses ambitions institutionnelles – accéder avant tout à des postes de direction. Tout en donnant des gages aux militants décoloniaux, il tenait à se démarquer des figures médiatiques les plus caricaturales du décolonialisme, telles que l’indigéniste et islamo-gauchiste Houria Bouteldja ou Rokhaya Diallo, qui se définissait en janvier 2017 comme «féministe intersectionnelle et décoloniale».

(…) Le Figaro

(Merci à BB)

Fdesouche sur les réseaux sociaux