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Sous le titre “Paroles de poilus. Lettres et carnets du front (1914-1918)” (Ed. Librio), ont été rassemblées, sous la direction de Jean-Pierre Guéno, des lettres envoyées du front par des soldats français à leur famille.

Extraits de la préface : Dès sa première publication en 1998, ce livre a connu un vif succès. Il a été très vite prescrit dans les programmes scolaires, et il a touché en quatorze ans plus de trois millions de lecteurs sous ses diverses formes. Des passages de Paroles de poilus ont été repris dans tous les manuels scolaires. Le livre continue à émouvoir des milliers d’adolescents, qui réalisent que l’immense majorité des poilus de 1914-1918 avait l’âge qu’ont aujourd’hui les élèves de seconde, de première et de terminale. Il a bouleversé des dizaines de milliers de lecteurs qui y ont retrouvé leurs propres racines familiales, et surtout l’émotion de ces obscurs, de ces sans-grade qu’étaient leurs ancêtres, et qui sont les véritables acteurs d’une histoire trop longtemps résumée à ses têtes d’affiche.

Maurice Maréchal avait vingt-deux ans en 1914. Après la guerre, il deviendrait l’un des plus grands violoncellistes du monde : l’égal de Casais et l’un des maîtres de Rostropovitch. Entre 1914 et 1919, le matricule 4684 classe 12 fut soldat de 2e classe et agent de liaison. En mai 1915, un autre poilu lui fabriqua un violoncelle avec les morceaux d’une porte et d’une caisse de munitions. Ce violoncelle signé par les généraux Foch, Pétain, Mangin et Gouraud est aujourd’hui conservé à Paris, à la Cité de la musique.

Dimanche 2 août

Premier jour de la mobilisation générale. Hier matin, j’ai pris la résolution d’agir en Français ! Je rendais mes cartons à la Musique, quand je me suis retourné machinalement sur la ville, la cathédrale vivait, et elle disait : « Je suis belle de tout mon passé. Je suis la Gloire, je suis la Foi, je suis la France. Mes enfants qui m’ont donné la Vie, je les aime et je les garde. » Et les tours semblaient s’élever vers le ciel, soutenues seulement par un invisible aimant. Et Meyer me dit : « Vois-tu des boulets dans la cathédrale ? » J’ai été à l’infirmerie, je serai du service armé et si on touche à la France, je me battrai. Toute la soirée, des mères, des femmes sont venues à la grille. Les malheureuses ! Beaucoup pleuraient, mais beaucoup étaient fortes. Maman sera forte, ma petite mère chérie, qui est bien française, elle aussi ! J’ai reçu sa lettre ce matin, dimanche. Ici, je te confie un secret, carnet, elle contenait cette lettre, une lettre d’une jeune fille qui aurait peut-être pu remplacer Thérèse un jour. Si je pars et si je meurs, je prie ma petite mère de lui dire combien j’ai été sensible à sa lettre de Villers, combien je l’ai appréciée dans sa droiture, dans son courage, dans sa grâce ; combien je la remercie des bonnes paroles que j’ai vraiment senties être d’une amie. Je suis sorti ce matin prendre du linge, poser mon violoncelle chez Barette. J’ai écrit à petite mère. Je ne peux pas écrire à tous, mais je pense pourtant à tous nos amis. Maurice MARÉCHAL

Henry Lange appartenait à une famille Israélite, naturalisée française, un siècle avant le début de la Grande Guerre. Engagé volontaire à dix-sept ans dès le début du conflit, Henry fut d’abord versé dans l’artillerie, puis il intervint auprès de son général pour être plus exposé en étant versé dans l’infanterie. Il fut tué le 10 septembre 1918 à la tête de sa section. Il avait vingt ans.

Henry Lange appartenait à une famille Israélite, naturalisée française, un siècle avant le début de la Grande Guerre. Engagé volontaire à dix-sept ans dès le début du conflit, Henry fut d’abord versé dans l’artillerie, puis il intervint auprès de son général pour être plus exposé en étant versé dans l’infanterie. Il fut tué le 10 septembre 1918 à la tête de sa section. Il avait vingt ans.

Le 6 septembre 1917

Mon Général,

Je me suis permis de demander à passer dans l’infanterie pour des motifs d’ordre personnel. Mon cas est en effet assez différent de celui de la plupart des combattants. Je fais partie d’une famille Israélite, naturalisée française il y a un siècle à peine. Mes aïeux, en acceptant l’hospitalité de la France, ont contracté envers elle une dette sévère ; j’ai donc un double devoir à accomplir : celui de Français d’abord ; celui de nouveau Français ensuite. C’est pourquoi je considère que ma place est là où les « risques » sont les plus nombreux.

Lorsque je me suis engagé, à dix-sept ans, j’ai demandé à être artilleur sur la prière de mes parents et les conseils de mes amis qui servaient dans l’artillerie. Les « appelés » de la classe 1918 seront sans doute envoyés prochainement aux tranchées. Je désire les y devancer.

Je veux après la guerre, si mon étoile me préserve, avoir la satisfaction d’avoir fait mon devoir, et le maximum de mon devoir. Je veux que personne ne puisse me contester le titre de Français, de vrai et de bon Français. Je veux, si je meurs, que ma famille puisse se réclamer de moi et que jamais qui que ce soit ne puisse lui reprocher ses origines ou ses parentés étrangères.

J’espère être physiquement capable d’endurer les souffrances du métier de fantassin et vous prie de croire, mon Général, que de toute mon âme et de tout mon coeur je suis décidé à servir la France le plus vaillamment possible.

Veuillez agréer, mon Général, l’assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement.

Originaire de Marseille, Maurice Antoine Martin-Laval était l’un des six enfants d’un armateur de la ville. Il avait vingt-trois ans lorsqu’il écrivit ces mots à sa soeur Marie. Il était médecin auxiliaire au 58e RI, et il allait avec les brancardiers ramasser les blessés sur les champs de bataille. Ses deux frères, André et Fernand, eurent comme lui la chance de survivre à la guerre.

Le 22 février 1915

Ma chère Marte,

Tu ne saurais croire la vaillance et l’héroïsme de nos braves soldats ; quand je dis : « vaillance et héroïsme », je n’entends pas parler comme les journaux dans un sens vague et général et prendre ces mots presque comme un cliché systématique lorsqu’il s’agit de nos troupes, mais bien au contraire, je veux donner à ces mots toute leur extension et je précise. Hier à 14 heures devait avoir lieu par trois sections de mon régiment l’attaque d’une tranchée allemande, pourvue de défenses accessoires fantastiques : une largeur d’une dizaine de mètres, sillonnée en tous sens comme une toile d’araignée de fils de fer barbelés et épais reliant entre eux d’énormes piquets d’un mètre soixante-quinze de haut et constitués par des madriers de chemins de fer. […]

Ne crois-tu pas, chère Marie, que tous ces morts quels qu’ils soient doivent aller droit au ciel après de semblables actes d’héroïsme et ne crois-tu pas odieux, honteux, scandaleux, que Messieurs les Députés à la Chambre veuillent refuser ou même discuter l’attribution d’une « croix de guerre » à ces hommes, tous des héros, sous prétexte qu’il faut qu’ils soient cités à l’ordre de l’armée… Pour eux, l’ordre du jour de la Division n’est pas suffisant. Ô injustice et ingratitude humaines !

Henri Jacquelin avait trente ans en 1914. Il habitait Quimper. Agrégé de lettres et d’histoire, ancien élève de l’École normale supérieure, il avait été réformé pour myopie lors de son service militaire, mais il s’engagea comme simple soldat dès le jour de la mobilisation, à l’exemple de ses trois frères. Gravement blessé pendant la première bataille de la Marne en septembre 1914, il fut soigné pendant plus de deux ans et renvoyé au front comme mitrailleur en mars 1916. Versé ensuite dans l’infanterie d’accompagnement des chars d’assaut, il fut tué à Tahure le 26 septembre 1918, moins de deux mois avant lafin de la guerre. Sa femme Henriette resta seule avec son fils Riquet, né en novembre 1911.

Dix mille puis vingt mille prisonniers ; notre terre reconquise. Tout ce cliquetis me donne la fièvre et m’ôte le sommeil, et Dieu me garde de faire le poète quand j’écris à mon père, mais je sens tout ce qu’il y a de France qui se lève en moi, comme le brouillard du matin sur la terre obscure, et jamais je n’ai éprouvé un sentiment si vif, si passionné et si délicieux d’être un homme de mon pays. Pourquoi, pourquoi suis-je ici loin de la bataille ?

Jacques Georges Marie Froissart avait dix-sept ans en 1914. Fils d’un avocat parisien, et engagé volontaire à la fin du mois d’avril 1916, il fut d’abord téléphoniste puis aspirant dans l’artillerie au 217e RAC (régiment d’artillerie de campagne). Jacques tomba le 14 septembre 1918 d’un éclat d’obus reçu en plein coeur.

Mes chers parents,

Lorsque vous lirez cette lettre, Dieu m’aura fait l’honneur de m’accorder la sacrée mort que je pouvais souhaiter, celle du soldat et du chrétien. Que ce soit sur un champ de bataille ou dans un lit d’hôpital, je l’accepte comme dès le premier jour où je voulus m’engager. J’en accepte l’idée sans regrets et sans tristesse. Je ne peux pas vous dire de ne pas me pleurer, car je sais la douleur que vous causera ma disparition, mais ne regardez point la terre qui me recouvrira. Levez les yeux vers le ciel où Dieu me jugera et me donnera la place que j’aurai méritée.

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