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Arnaud Lacheret est docteur en Science Politique et professeur associé à l'Arabian Gulf University de Bahreïn où il dirige depuis 2017 la French Arabian Business School, partenaire de l'Essec dans le Golfe.

Il y a quelques semaines, j’étais très fier de publier, avec un chercheur spécialiste en droit islamique, un article dans une prestigieuse revue scientifique en anglais dont le titre (traduit) est « Voile islamique dans le Golfe et modernité arabe : une étude qualitative sur des femmes managers« . Mon coauteur est comme moi « Associate Professor » (équivalent de Maitre de Conférence dans le système anglo-saxon) à Bahreïn (dans une autre université), de nationalité bangladaise.    

J’étais fier de pouvoir transformer un chapitre de mon livre en article scientifique, même s’il fut certes beaucoup remanié à la suite d’un processus de publication particulièrement exigeant : anonymisation des auteurs et des réviseurs, évaluation par des universitaires spécialistes etc.

L’article est donc en ligne et je le partage sur la plateforme « Academia » qui permet d’avoir des retours de chercheurs du monde entier. C’est comme cela qu’on progresse en tant que scientifique : en faisant évaluer son travail par ses pairs. C’est parfois un moment compliqué, il ne faut pas trop se braquer et accepter parfois des remarques à la limite de la mauvaise foi, mais c’est le jeu.

Cet article, quelques heures après sa mise en ligne, se voit attaquer par plusieurs femmes, doctorantes dans des universités anglo-saxonnes, notamment parce que nous sommes des hommes, que je suis un occidental et que nous n’aurions pas dû traiter ce sujet. Désireux de ne pas nuire à mon coauteur, je retire l’article de la plateforme, mais, afin de creuser un peu plus, je prends contact par messages privés avec l’une de ces femmes, doctorante Américano-Saoudienne dans une université de la côte Est des Etats-Unis, titulaire d’une bourse Fullbright.   

Je vous traduis quelques extraits de notre conversation :

Elle m’écrit d’abord qu’elle a de gros problèmes avec la façon dont l’article est conçu. Très honnêtement, je me dis que ça va être intéressant d’en discuter et je lui demande pourquoi…

Elle me répond :

[…]

[…]

[…]

En outre, si nous allons vers une recherche où seules les femmes musulmanes, peuvent étudier les femmes musulmanes, d’autres biais vont surgir. Bien évidemment, le fait de ressembler et d’être trop proche du public que l’on est censé étudier entraine des biais beaucoup plus importants que d’en être éloigné. Nous partons souvent avec des présupposés qu’il faut être capable de mettre de côté pour tendre vers la neutralité axiologique. Force est de constater que cette doctorante ne donnait pas l’impression d’être vraiment capable de prendre de la distance dans le cadre d’une recherche scientifique.

Ce militantisme est une plaie car ce comportement raciste dont nous avons été victime est une négation de l’esprit de la recherche scientifique, qui est évaluée anonymement par les pairs : ceux qui ont accepté de faire paraitre notre papier ignoraient qui nous étions et se sont donc contentés d’évaluer notre recherche. Cela devrait être la norme.

Or, il y a fort à parier que cette idéologie, clairement exprimée par cette doctorante, selon laquelle un homme blanc ne pourrait étudier tous les sujets constitue une des plus importantes menaces pour l’intégrité même de la recherche. Interdire quelqu’un de faire une étude en fonction de sa couleur de peau ou de son genre n’est autre que de la discrimination. Ce type de réflexions sont courantes outre-Atlantique et nous devrions vraiment nous en inquiéter. Je sais que d’ores et déjà notre article scientifique ne sera pas lu, pas repris, pas commenté par un nombre croissant de chercheurs uniquement parce que nos deux noms y figurent et que nous ne sommes pas considérés comme légitimes pour étudier certains sujets.

Mon collègue et moi-même allons continuer à étudier les sujets que nous souhaitons, sans prendre en compte notre genre, notre religion ou notre couleur de peau, mais nous ne pourrons pas prêcher dans le désert  éternellement. Il est indispensable que ce type de considérations racistes soient bannies du champ de la recherche, il en va de l’avenir de notre intelligence collective. 

L’intégralité de l’article sur décolonialisme.fr

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