Fdesouche

Dans les quartiers populaires, du Havre à Montpellier, Toulouse ou Vannes, des familles tentent d’offrir « l’égalité des chances » à leurs enfants en choisissant le privé. À l’heure de la loi contre le « séparatisme islamiste », ces parents bataillent plutôt contre la ségrégation sociale.

Du plus loin qu’il s’en souvienne, Gino Ximenez, dit Boulito, n’a jamais aimé l’école. Du moins pas celle de son enfance, cité Gély, à Montpellier (Hérault), où l’ascenseur social semble n’avoir jamais décollé.

« Ici, c’est mon quartier, et il me tient à cœur, mais dans l’école du secteur j’étais le premier de la classe, alors que j’écris comme je parle… Je me souviens d’un enseignant qu’on aimait beaucoup, parce qu’il lisait son livre dans son coin et qu’il nous laissait jouer à la pétanque dans la cour », sourit Gino, 36 ans.

Une anecdote dont l’arrière-goût hante encore le commerçant au moment de poser ses doigts sur un clavier ou d’attraper un stylo. « J’ai du mal à aider ma fille de 10 ans à faire ses devoirs et pour moi c’est un handicap. Je ne veux pas que mes enfants passent par là, et je pense qu’en restant tous dans les mêmes classes entre gitans, on ne peut pas évoluer. Je n’en connais que deux qui ont eu le bac à la cité Gély… »

Contrairement au schéma le plus commenté dans la presse, l’évitement scolaire n’est pas l’apanage de « bobos ». À l’inverse, comme Gino et Jessica, certaines familles issues des classes populaires déploient leurs propres stratégies de contournement de la carte scolaire, essentiellement pour fuir l’entre-soi. Comme par instinct de survie en somme, et pour toucher du doigt la sacro-sainte « égalité des chances » dont elles se sentent exclues.

D’après un document statistique de l’Éducation nationale daté de 2018, 11 % des élèves des quartiers prioritaires s’embarqueraient dans le privé à leur entrée en classe de 6e, contre 25,9 % des élèves d’autres secteurs, toutes classes sociales confondues. Ils ne seraient donc qu’une poignée, mais la ségrégation scolaire, dans leur bouche, n’est pas qu’un concept.

Dans le quartier de La Paillade à Montpellier, Khaled Baki a vu les choses se dégrader peu à peu. « Quand j’étais à l’école primaire, le directeur habitait le quartier et sa fille Valérie était dans ma classe. Aujourd’hui, c’est fini tout ça. Les enseignants n’habitent plus le quartier et n’y inscrivent plus leurs enfants… C’est ce qui me choque le plus », relève le père de famille….

Bien loin de l’image de certaines écoles catholiques bourgeoises et hautement sélectives, de nombreux établissements privés ont fait de cette ouverture aux classes populaires et aux quartiers une véritable marque de fabrique. Au Havre (Seine-Maritime), le collège Montesquieu-Sainte-Marie est de ceux-là. Ici, le chef d’établissement, Sylvain Pézier, compte entre 40 et 50 % d’élèves boursiers selon les années, contre 12,3 % dans le privé en général et 29,9 % dans le public, d’après les dernières données de l’Éducation nationale.

« Historiquement, le collège a toujours recruté sur le secteur du “Plateau”, qui regroupe plusieurs quartiers considérés comme difficiles. Et nous avons un véritable brassage de populations, avec des familles de classes moyennes à aisées venues du centre-ville, notamment grâce au handicap puisque nous proposons un accueil spécifique », explique le directeur, enthousiaste à l’idée de provoquer des rencontres entre des publics qui ne se seraient peut-être jamais côtoyés autrement.

Le lycée catholique dans lequel il officiait auparavant présentait les mêmes profils. « La pastorale était animée par une juive, une musulmane et une bouddhiste, et je me souviens d’un collègue qui m’avait dit : “Je croise les doigts pour qu’un jour on dégote une catholique !” », sourit l’enseignant.

Une configuration que Philippe Causse, principal du collège Saint-Roch, à Montpellier, connaît aussi par cœur. « La priorité pour ces familles, c’est un choix d’encadrement, de sérieux, un projet éducatif, et aussi, oui, une possibilité de promotion sociale quelque part… », argue l’enseignant…

De fil en aiguille, ces établissements font néanmoins l’objet d’une stigmatisation latente. Un phénomène que l’école catholique Françoise-d’Amboise à Vannes (Morbihan), qui recrute essentiellement dans le quartier populaire de Ménimur, a déjà observé. « Parfois, cela peut faire peur. Il peut arriver que nous subissions la même chose que les écoles publiques des secteurs défavorisés », remarque une enseignante.

Même constat à l’école Notre-Dame-Saint-Théodore, à Marseille (Bouches-du-Rhône), dont l’ex-responsable de l’association des parents d’élèves, Vincent Pavan, estime « à plus de 90 % » le nombre d’enfants musulmans.

Mais qu’importent les conséquences, pour le secrétaire général de l’enseignement catholique, Philippe Delorme, cette ouverture devrait faire loi. À l’inverse, l’élitisme et l’hypersélectivité de certains établissements huppés « ne correspondent pas à ce que doit vivre l’enseignement catholique », argue l’homme, convaincu que ces établissements ont un rôle à jouer dans ces secteurs confrontés à « la ghettoïsation ».

Et pour s’en donner les moyens, voilà deux ans que l’institution utilise un indicateur de position sociale dans la répartition des budgets, « afin que les académies qui accueillent le plus de familles défavorisées soient avantagées. Nos instances ont défini des politiques nationales destinées à privilégier la mixité sociale et le développement des formations professionnelles, pour que l’accueil de tous soit une réalité »,poursuit-il….

Médiapart

Fdesouche sur les réseaux sociaux