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Tribune d’une enseignante de Seine-Saint-Denis dans Libération.

Nous, enseignants, sommes trop seuls pour toutes ces batailles

Par où commencer, quand il faut tout reprendre, tout déconstruire. Comment faire, quand on ne donne au corps enseignant que des bouts de ficelle, des demi-heures de soutien ?  […]

Dans ce collège classique, les disciplines s’enseignent, les «savoirs fondamentaux» se travaillent, mais ce ne sont pas toujours ceux que l’on croit. En filigrane des matières, des mots s’échangent, des valeurs se jaugent, et il n’est pas nécessaire de tendre l’oreille pour saisir ces discours du quotidien : «Ah bon, on peut tomber enceinte en buvant du Redbull ?» ; «Non mais t’es gay ou quoi ?» ; «Et toi, avec ta jupe, t’attends qu’on te viole ?» Phrases parfois dites en l’air, souvent reflet du monde des adultes, qui viennent frapper ici de plein fouet des adolescent·e·s qui s’interrogent, qui se cherchent, et qui se brisent. On a alors besoin de temps, d’énergie, de ressource, pour leur permettre de se réapproprier leur corps. […]

Mais ce temps précieux, d’autres sujets le réclament, car c’est aussi dans ce collège classique que Djibril (le prénom a été changé) suivait ses cours l’année dernière. Djibril, ce garçon de 15 ans retrouvé dans une cave tuméfié, poignardé, victime d’une vieille guerre de quartiers qui impose que régulièrement des jeunes d’une ville s’arment de barres de fer, de battes et maintenant de couteaux pour aller fracasser leurs voisins. […]

Il va en falloir en effet, des projets éducatifs, pour réconcilier ces deux villes ennemies, il va en falloir, de l’accompagnement consciencieux pour que nos élèves s’approchent, se parlent et s’écoutent, qu’ils apprennent finalement à vivre ensemble. […]

Par où commencer, quand il faut tout reprendre, tout déconstruire, expliquer aux enfants que ce n’est pas en poignardant un autre qu’on devient un homme, et que ce n’est pas en lui parlant de viol qu’on séduit une jeune fille ? Et comment faire, quand on nous donne, pour toutes armes, des bouts de ficelle, des demi-heures de soutien ?

Libération

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