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Jean-Paul Mari, Porte-Parole de l’association LIMBO (dont le but est de “réparer les survivants”), revient sur le naufrage de migrants au large de la Libye.

Les migrants ont souvent vécu l’Enfer. Le vrai. Celui de la traversée des déserts et des mers, celui de la Libye dont on commence à mesurer l’ampleur. Être un migrant, africain et noir, voire chrétien, en Libye, c’est être traité comme un inférieur, un animal, dans un pays sans loi. Voilà des années que des voix, dont celles des membres de LIMBO, essaient d’alerte l’opinion sur le caractère effroyable du sort des migrants dans ce pays. A peine le pied posé dans ce pays, un migrant n’est plus un être humain, mais une chose qui doit payer sa simple présence. Les hommes, les femmes, parfois les enfants sont battus, rançonnés, pillés, violés. Un migrant n’a pas le droit de regarder un Libyen dans les yeux, subit insultes, humiliations et coups.

Il travaille sans être payé, sert de chair à canon aux milices, est acheté, vendu, revendu. Les récentes images de télévision qui ont alerté le monde ne sont que de pâles illustrations de la réalité. Dans les centaines de camps de torture qui existent dans le pays, les images d’humains cadavériques, mutilés, le corps couvert de plaies, rappellent les pires souvenirs des univers concentrationnaires. La Libye n’est pas un pays, c’est un cauchemar. Viol, torture, mort, traite négrière et marché aux esclaves, voilà la réalité des migrants.

On pourrait croire que l’arrivée en Europe marque la fin de la tragédie. Le but ultime de leurs longs parcours, qu’ils viennent d’Érythrée ou du Soudan, du Nigeria ou de Somalie, d’Afghanistan ou de Syrie, d’Afrique ou d’Asie. Après des mois, souvent des années d’errance et de souffrance, ils ont parfois réussi à obtenir une possibilité d’asile, des papiers, un logement sûr, l’accès à l’éducation, voire un travail… Le Graal des migrants. Et pourtant.

Il y a ces jeunes migrants en Suède, de plus en plus nombreux, dont la presse relate, avec étonnement, le suicide. Il y a cette jeune femme africaine en procès, face au tribunal, désespérée et coupable, accusée d’avoir abandonné dans la neige son bébé, issu d’un viol en Libye. Il y a ces hommes ou femmes jeunes qu’on retrouve errants dans les rues, fantômes perdus, prêts à toutes les violences, contre les autres ou contre eux-mêmes. À LIMBO, nous connaissons ces cas dramatiques. Et aussi les profondes difficultés, les dépressions, l’abattement, la douleur de ceux qui chavirent sans faire de bruit.

Pourquoi ? La réponse est dans leurs regards. Ce qu’ils ont vécu. Les êtres chers qu’ils ont perdus, frères, père, mère, fils, enfants ou amis proches. Ce trou qu’il porte en eux et ne s’est jamais refermé. Des rescapés qui ne sont jamais revenus. Leur corps, oui; leur esprit, non. Ce qu’on appelle le TRAUMA. Le vrai. Celui qui vous tue longtemps après l’horreur vécue.

Ce qu’on ne doit pas faire, c’est les laisser seuls, en perdition. Et LIMBO, grâce à ses experts du sujet, ses militants, ses bénévoles, a les moyens d’identifier les migrants en souffrance psychologique. Ils veulent vivre et n’y parviennent plus, travailler sans en avoir plus la force… Au bout du chemin, il y a l’échec. Or ces migrants sont chez nous. Et ils doivent vivre désormais avec nous. Et nous devons -et pouvons- leur réapprendre à vivre. Ce sont souvent des hommes jeunes, pleins d’énergie et de volonté, parfois de talent. Et ils ne demandent qu’à l’exprimer.

LIMBO organise des sessions de travail pendant les différentes périodes de vacances de l’année. Aide psychologique, travail de groupe, activités manuelles et culturelles, nous sommes déjà parvenus à des résultats spectaculaires. En un, voire deux séjours, nous avons pu renouer le contact et redonner goût à la vie et au travail à des jeunes, hommes ou femmes, qu’on aurait pu croire perdus.
Les aider, c’est une question d’humanité, de citoyenneté, de sécurité, de santé publique. L’affirmation de notre propre humanité.

Association LIMBO

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