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Mireille-Tsheusi Robert est Afro-descendante. Elle dénonce le racisme à l’œuvre là où on ne l’attend pas : au sein des institutions prônant des valeurs antiracistes. Son étude menée auprès de 85 organismes bruxellois et wallons a permis de pointer que 83% de ces organismes n’engagent pas de personnes d’origine africaine. La méconnaissance et le mépris à l’égard des sien·ne·s, Mireille-Tsheusi Robert est venue en parler lors du débat « Racisme, sexisme et classisme : quelle adéquation entre nos pratiques et nos luttes ? » organisé par l’association Présence et Action Culturelles.

« Bonjour, j’espère que vous aimez ma perruque. Je cherche du boulot en ce moment. En entretien, les cheveux en bataille des personnes afro-descendantes sont rarement bien accueillis. Les cheveux lisses passent mieux. J’ai testé à plusieurs reprises. Si je vous dis ça, ce n’est pas pour aborder des questions d’esthétique. Mais pour vous montrer les stratégies qu’on doit déployer au quotidien face au racisme et aux discriminations. »

Au départ d’une interpellation aux apparences anodines, Mireille-Tsheusi Robert fait jaillir l’essence même de son propos. Comme si cette femme afro-descendante tenait entre ses mains, l’air de rien, un miroir incliné de façon à y percevoir plus nettement ce racisme ordinaire et invisibilisé, mais pourtant tellement présent et discriminant. Face à elle, une audience majoritairement « blanche » (terme auquel elle préfère celui d’« euro-descendante »), d’acteurs et actrices du monde associatif, réuni·e·s à l’occasion d’un débat à l’initiative de Présence et Action Culturelles (PAC). Intitulé du jour : « Racisme, sexisme et classisme : quelle adéquation entre nos pratiques et nos luttes ? » (1)

Travailler « pour » et « sur », mais pas « avec »

Aujourd’hui, Mireille-Tsheusi Robert est venue livrer une série de constats, détaillés dans son livre « Racisme anti-Noirs : entre méconnaissance et mépris » (2). A l’occasion de ce débat, elle pointe plus spécifiquement une forme de racisme qui règne là on l’attend le moins : le racisme des professionnel·le·s des milieux antiracistes ou, tout du moins, des milieux oeuvrant en faveur du vivre-ensemble et de l’interculturalité. Ce « racisme paradoxal » se traduit par une forme de méconnaissance et de mépris. Un mépris que le dictionnaire Larousse définit comme étant « le sentiment par lequel on juge quelqu’un ou sa conduite indigne d’estime ou d’attention », rappelle Mireille-Tsheusi Robert. Ce qu’elle pointe n’est pas tant un forme de racisme affiché et assumé, mais bien des mécanismes plus subtiles et rendus invisibles au point tel qu’ils en deviennent presque communément admis.

Ce constat Mireille-Tsheusi Robert le puise dans une étude de terrain qu’elle a réalisée auprès de 85 organismes bruxellois et wallons travaillant sur des sujets liés aux Afro-descendant·e·s : musées, travailleurs et travailleuses de l’interculturel, de l’éducation, de l’éducation permanente, chercheurs et chercheuses, politiques… Cette recherche associative et qualitative a permis d’évaluer une série de connaissances, sur l’histoire coloniale belge et sur la diaspora africaine en Belgique. Combien de temps a duré la colonisation au Congo ? En dehors des métiers du sport et de l’art, pourriez-vous citer des Afro-descendant·e·s connu·e·s chez nous ? figuraient parmi les questions. « Nous avons comptabilisé un taux de réponses correctes de 60% pour les questions relatives à l’histoire et de 48% pour les questions sur la diaspora, explique Mireille-Tsheusi Robert. L’histoire est donc mieux connue que la diaspora d’aujourd’hui. »

Afin de sonder l’exemplarité en matière de diversité au sein même de ces organismes, l’enquête s’est également penchée sur le nombre d’Afro-descendant·e·s faisant partie des équipes de travail. Petit détail qui a son importance : le personnel d’entretien ne faisait pas partie de ce décompte. Conclusion : seuls 17% de ces institutions antiracistes comptent un·e ou des Afro-descendant·e·s au sein de leur équipe. « Ce qui signifie bien que 83% d’organisations antiracistes n’engagent pas de Noirs, poursuit Mireille-Tsheusi Robert. On veut bien travailler sur eux, pour eux, mais pas avec eux. Et quand on travaille avec eux, on ne les place surtout pas à des postes à responsabilité. » La salle frémit. La gêne est palpable. Comme si chacun et chacune s’essayait intérieurement à l’exercice en établissant le décompte des personnes racisées employées par leur organisme. « Je pense que le travailleur antiraciste a une responsabilité professionnelle et politique, il ne peut pas s’autoriser le « confort » de l’ignorance », explique par ailleurs Mireille-Tsheusi Robert dans une interview pour le magazine Agir pour la culture (1).

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