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Pour prendre le pouls des débats et des polémiques qui agitent notre société, rien de tel qu’un après-midi à écouter les audiences de la 17e chambre du tribunal de Paris, spécialisée dans les affaires de presse. Le 19 juin dernier, le zoom était braqué sur les fractures de la gauche et du féminisme français. Des fractures profondes avec pour toile de fond un arrondissement populaire, des informations erronées et un contexte qui appartient désormais à notre mémoire collective : celui des attentats de janvier 2015.

« Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo »

Tout commence quelques semaines après ces drames qui ont ensanglanté Paris et fait descendre dans les rues quatre millions de personnes en état de choc, venues rappeler leur attachement à la liberté d’expression et aux valeurs républicaines. Fin février 2015, Frédérique Calandra, maire PS du XXe arrondissement de Paris, apprend que son adjointe Emmanuelle Rivier (EELV) chargée de l’Egalité hommes-femmes, a organisé sans son consentement, pour la journée des droits des femmes du 8 mars, une projection-débat autour de la sociologue Christine Delphy. Lorsqu’elle découvre que la très médiatique Rokhaya Diallo participe à l’événement, Frédérique Calandra s’alarme. Non seulement Rokhaya Diallo a signé la tribune « Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo » au lendemain de l’incendie criminel du journal en 2011, mais elle conteste aussi la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l’école. Une amie signale à Frédérique Calandra le profil des autres intervenantes : féministes intersectionnelles et différentialistes, elles ont aussi signé la tribune de 2011 « contre le soutien à Charlie Hebdo ».

A la barre, Frédérique Calandra rappelle que, porte de Vincennes, elle a attendu de connaître, avec Anne Hidalgo, le nombre des victimes de l’attentat de l’Hyper Cacher, situé dans son arrondissement. Et qu’elle a « beaucoup fréquenté » le Père Lachaise pour les obsèques des morts des attentats. C’est donc dans ce contexte dramatique qu’elle décide d’annuler la projection-débat. Elle justifie sa décision : elle n’a jamais validé l’événement de son adjointe, ce qui est pourtant la procédure habituelle, il ne reflète pas les valeurs féministes sur lesquelles elle a été élue : Frédérique Calandra se présente en effet comme une féministe universaliste, attachée à la laïcité et à la loi de 2004.

Six femmes et une diffamation

Emmanuelle Rivier menace alors de déclencher une tempête médiatique. Elle a lieu. Dans deux textes relayés sur le web et les réseaux sociaux, la maire du XXe arrondissement est suspectée de censure et de racisme : le texte de Sylvie Tissot professeur de sciences politiques à l’université de Paris VIII, sur le site de son collectif « Les mots sont importants », insinue que la décision de censurer Rokhaya Diallo est liée au fait qu’elle est noire et musulmane. Le texte du collectif « 8 mars pour tou.te.s » renchérit et évoque un climat raciste et xénophobe : dans le XXe arrondissement de Frédérique Calandra, les Roms subiraient un harcèlement policier et il serait interdit aux employés de la mairie de parler arabe. (…)

Dans le public, on reconnait Madjid Messaoudene – élu FG de Saint-Denis et proche des Indigènes de la République -, des militants d’Act-Up ou encore Thierry Schaffhauser membre du Syndicat du travail sexuel (Strass) : toute la nébuleuse de l’intersectionnalité que le sociologue Eric Fassin, en qualité de témoin, définit doctement devant la Cour. L’intersectionnalité « prend en compte d’autres rapports de domination » et croise les discriminations liées au sexe, à la race ou à la classe. On retrouve là ce qui oppose le féminisme universaliste d’une Frédérique Calandra ou d’une Elisabeth Badinter, à celui des indigénistes qui le partitionnent en féminisme blanc et bourgeois, noir, racisé, musulman…

La salle est très réactive : gros éclats de rires quand l’avocate de Frédérique Calandra, Sabrina Goldman, pointe la contradiction entre le racisme supposé de sa cliente et ses engagements au Parti socialiste… Un témoin évoque l’équipe de Charlie. Le procureur l’interrompt pour faire sortir de la salle cinq personnes qui ne cessent de ricaner. L’une d’elle arbore un keffieh palestinien multicolore. Un jeune homme quitte l’audience sans se départir de son sourire. L’historienne Laurence De Cock et l’une de ses amies sont également sommées de quitter la salle…

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