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La « loi numéro 10 » vise à fermer la porte au retour des exilés tout en récompensant les fidèles du régime.

Au début du mois, alors que l’armée régulière et l’aviation russe parachevaient la reconquête de la Ghouta orientale, l’ultime fief de la rébellion dans la banlieue de Damas, la présidence syrienne promulguait, sans faire de bruit, une loi susceptible de remodeler le pays en profondeur.

Ce texte, daté du 2 avril et portant le numéro 10, facilite l’expropriation de pans entiers du territoire syrien, en particulier dans les zones périurbaines, aujourd’hui en ruines, où le soulèvement anti-Assad a pris racine. Adoptée par le Parlement au nom de la reconstruction du pays, cette législation pourrait aboutir à priver des centaines de milliers de réfugiés de toute perspective de retour.[…]

Délai de trente jours

Les personnes expropriées – ou des membres de leur famille si elles résident hors de Syrie – disposeront de trente jours à partir de la publication du décret pour faire valoir leurs droits. Le cas échéant, des compensations sont prévues sous la forme de parcelles indivisibles, ou bien d’actions de la société chargée du projet immobilier. L’indemnisation étant calculée sur la base du prix du bien avant l’établissement de la zone de développement, il est probable que son montant sera très inférieur à la valeur réelle des actifs.

Mais le nombre de propriétaires éligibles à un dédommagement devrait de toute façon être très limité. Le manque de zonage dans les quartiers informels fait que les titres de propriété y sont juridiquement faibles. D’après une enquête du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, seuls 9 % des 5 millions de Syriens ayant quitté leur patrie disposent de certificats de propriété en bonne et due forme. […]

Le chantier est piloté par une holding privée, Damascus Sham, dont les filiales sont aux mains d’oligarques, comme Rami Makhlouf, le cousin du président, première fortune de Syrie, et Samer Foz, qui a la haute main sur le marché du blé. « Non seulement les terres des habitants sont expropriées, mais au lieu de rester dans le giron des administrations locales, ces actifs sont transférés à des affairistes pro-régime », fait remarquer Jihad Yazigi, rédacteur en chef de Syria Report, une lettre d’informations économiques sur Internet.

Message à l’Occident

Observé dans le sud de Damas, ce double processus de spoliation et de privatisation devrait, selon toute vraisemblance, se répéter à l’échelle du pays. Il permet au régime Assad de financer un début de reconstruction à la barbe des chancelleries occidentales, qui conditionnent leur aide à une transition politique dont Damas ne veut pas. Il donne parallèlement au pouvoir syrien les moyens de récompenser ses affidés, un pan essentiel de sa tactique de stabilisation post-conflit.[…]

Il peut s’agir d’en modifier aussi bien le profil confessionnel – remplacer les sunnites, plus enclins à la révolte, par des minorités religieuses comme les alaouites et les chrétiens, davantage acquis au pouvoir – que le profil social – remplacer les « classes dangereuses » par des couches plus aisées.[…]

Un message à destination de ses voisins turcs, jordaniens et libanais, qui abritent l’essentiel de cette population, et des capitales européennes tétanisées à l’idée d’un nouvel afflux de réfugiés.

 

Le Monde

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