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En France, de 60 à 80 % des affaires de viol poursuivies ne sont pas examinées par les cours d’assises, où sont jugés les crimes, mais par les tribunaux correctionnels, comme des délits. Une pratique nécessaire pour lutter contre l’encombrement des assises, selon le ministère de la justice. Mais qui n’est pas sans incidence pour les victimes et pour le traitement de la récidive.

En France, chaque année, 84 000 femmes et 14 000 hommes disent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol dans les enquêtes de victimation (1). Pourtant, les cours d’assises ne prononcent qu’environ 1 500 condamnations pour ce crime défini par le code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » et passible de quinze ans de prison (vingt ans si la victime a moins de 15 ans).

Ces chiffres traduisent les obstacles qui jalonnent le parcours d’une victime : pressions qu’exerce le violeur pour qu’elle se taise ; refus de la police d’enregistrer les plaintes sous des prétextes souvent illégaux, comme l’absence de certificat médical ou un mauvais lieu de dépôt, selon le Collectif féministe contre le viol (2). Les forces de l’ordre ne comptabilisent ainsi qu’environ 12 000 plaintes par an (3), dont deux tiers sont classées sans suite par le parquet (4).

Parmi les plaintes poursuivies, le renvoi des affaires criminelles de viol vers les tribunaux correctionnels — appelé « correctionnalisation » — constitue un phénomène mal connu au-delà des juristes et des associations d’aide aux victimes. La correctionnalisation prend plusieurs formes. Dans certains cas, le parquet ou le juge d’instruction peuvent juger manquer de preuves pour maintenir la qualification criminelle de viol. Plus discutables sont les affaires de viol dans lesquelles les faits sont établis, mais qui ne sont finalement traitées que comme un simple délit d’agression sexuelle. C’est le cas quand le ministère public correctionnalise ab initio, à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance de la police judiciaire, ou quand un juge correctionnalise « en opportunité » en fin d’instruction, avec l’accord de la victime.

Cette pratique concernerait 60 à 80 % des affaires de viol poursuivies, selon plusieurs juristes. En Seine-Saint-Denis, l’observatoire départemental des violences envers les femmes a constaté que 43 % des affaires d’agressions sexuelles jugées par le tribunal de Bobigny en 2013-2014 étaient en fait des viols correctionnalisés (5). […]

(1) Enquête « Cadre de vie et sécurité (CVS) », 2010-2015, Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP).
(2) Voir le site du Collectif féministe contre le viol.
(3) Selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).
(4) « Les viols dans la chaîne pénale » (PDF), observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur, rapport de recherche no 10, dirigé par Véronique Le Goaziou, décembre 2016.
(5) Bertille Bodineau, « Les viols et les agressions sexuelles jugés en 2013 et 2014 en cour d’assises et au tribunal correctionnel de Bobigny » (PDF), observatoire des violences envers les femmes du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis – tribunal de grande instance de Bobigny, mars 2016.

Le Monde diplomatique

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