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Pour l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, l’apparition de ces produits «licites» est récente et sert les intérêts des industriels et des franges rigoristes de l’islam. Un «vent mauvais» pour la démocratie, estime-t-elle.
Selon une enquête publiée par l’Institut Montaigne en septembre, 70 % des musulmans interrogés déclaraient «toujours» acheter de la viande halal, et seulement 6 % ne jamais le faire. «Le marché est en pleine expansion depuis les années 90, mais il y a pourtant une réticence française à l’étudier», regrette l’anthropologue au CNRS Florence Bergeaud-Blackler. Son livre le Marché halal ou l’invention d’une tradition (Seuil), qui paraît cette semaine, est le résultat de vingt ans de recherches, le plus souvent financées par des subventions européennes, faute d’en obtenir en France. Pour elle, l’alliance entre néolibéralisme et fondamentalisme religieux a accouché d’un marché inquiétant : le halal s’étend sans cesse et devient un moyen de contrôle des comportements des consommateurs. Dans cette vision très déterministe de la société, l’islamic way of life peut jouer contre la démocratie, conclut-elle à la fin de son ouvrage. Des affirmations qui peuvent être récupérées par tous ceux qui s’alarment de l’essor de l’islam en France, extrême droite en tête. La chercheuse le sait bien et le redoute.

[…] Comment le droit français a-t-il fait une place au halal ?
Il n’existe pas dans la législation française de reconnaissance stricto sensu de l’abattage rituel – qu’il soit casher ou halal. Mais, en 1964, la loi a instauré une dérogation à l’étourdissement des bêtes pour des raisons religieuses, à l’origine pour le casher. Même si ces pratiques semblent se réduire, des abattoirs européens font du «tout halal» pour faire des économies. Ils évitent les changements de chaîne et peuvent indifféremment distribuer du halal à leurs clients musulmans ou à des grossistes conventionnels. La réglementation européenne n’oblige pas d’étiquetage particulier. […] Le halal est-il selon vous forcément fondamentaliste ?
Le fondamentalisme se caractérise par un rapport littéral aux textes et par le fait qu’il se définit comme l’orthodoxie : toutes les autres formes religieuses sont pour lui des déviances. C’est cette logique qui a permis à la convention halal d’exister : l’idée qu’il n’existe qu’une seule façon d’abattre un animal. Dès le départ, cette pratique est donc une idée fondamentaliste, qui va devenir, dans son développement ultérieur, quasi totalitaire : elle doit gouverner l’ensemble de la vie du croyant. Bien sûr, ce n’est pas toujours dit de cette façon, les manuels de marketing islamique parlent plutôt de halal way of life.
Certains chercheurs comme Olivier Roy estiment que le halal est le signe d’une sécularisation de l’islam. Vous pensez au contraire qu’il amène les musulmans à se couper des autres…
Olivier Roy et d’autres disent plutôt, mais je résume, que la norme halal est une sorte d’avatar occidental. Ce serait vrai si ces produits de consommation étaient inertes. Or, ils sont accompagnés tout au long du processus marchand par un discours religieux fondamentaliste, et ceci dans les domaines alimentaire, vestimentaire, cosmétique. Ce discours religieux peut être euphémisé pour mieux s’exporter, la pudeur transformée en «modestie», un terme plus flatteur. […] Le marché casher ne pose pas tant de problèmes à vos yeux ?
Les deux marchés ne sont pas comparables. La casherout est née il y a plusieurs siècles, avant l’industrialisation. La séparation entre fonctions marchande et religieuse est instituée, même si elle peut être transgressée, et elle a fonctionné pendant des siècles. Le marché halal, lui, est né industriel, fruit du néolibéralisme et du fondamentalisme, il n’y a pas de séparation claire. La norme halal est prise dans une surenchère marchande et religieuse. Personne ne contrôle l’extension du halal, mais elle intéresse beaucoup les promoteurs de l’«économie globale islamique» !
Ne craignez-vous pas que votre livre alimente la psychose anti-musulmans ?
Cette politisation de l’islam est doublée d’une marchandisation du patrimoine culturel et intellectuel musulman. C’est un phénomène très inquiétant. Parce que ceux qui en profitent sont, outre les marchands spéculateurs, les fondamentalistes qui ont pour projet d’imposer cette forme dogmatique de l’islam dont se nourrissent les groupes identitaires d’en face pour organiser cette peur des musulmans. […] Libération

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