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Tribune de Louis Chauvel, sociologue, professeur à l’université du Luxembourg, est chercheur associé à Sciences Po, sur le malaise des des classes moyennes.

L’érosion actuelle et le malaise des classes moyennes signifient plus qu’un déclin de notre modèle social, mais représentent une menace pour la démocratie. […]

La perte de statut de groupes sociaux porteurs des valeurs du « travail fier » (Arbeitsstolz), la remise en cause de leur position sociale, l’incertitude de l’avenir voire la certitude de la chute sont inacceptables aux enfants de l’âge d’or.

L’écart entre les promesses de progression et le constat du déclin, la frustration qui en résulte, suscitent un rejet général du système politique démocratique, fossilisé dans ses certitudes de stabilité et de rationalité, notions oblitérées par le déclassement systémique. […]

Le surdimensionnement numérique des classes moyennes en période de chômage de masse, la stagnation économique du salariat, l’obésité d’un Etat-providence désorienté, dispendieux et peu capable de prendre en charge les problèmes sociaux émergents, mais générateur d’un endettement toxique pour l’investissement productif, l’inflation scolaire vécue par une génération appartenant à la classe moyenne supérieure par ses études et massivement déchue dans le précariat par sa position sociale, la conscience croissante du déclassement systémique, la reconstitution de classes sociales extrêmes par la repatrimonialisation, l’émergence des populismes et de l’instabilité croissante d’un jeu politique marqué par l’imprévisibilité de toutes choses, sont autant d’aspects de cette déstabilisation.

Ces constats ont fait l’objet d’un déni de réalité systématique par les élites politiques et les institutions officielles en général, par certains médias, par une partie du monde académique.

Cette réalité dérange. L’inflation des diplômes, le développement du précariat à vie, le décrochement des salaires devant les prix de l’immobilier, la nécessité impérative de disposer de deux salaires pour vivre, le constat que même les meilleurs rémunérations sont insuffisantes pour se loger correctement montrent la nouvelle réalité. […]

Mais devant la primaire de la gauche, le sens du déni cèdera-t-il la place au sens du défi ? Ce renouveau est-il la dernière chance avant la divergence populiste qui, malgré les délais obtenus en Autriche, représente une menace réelle, voire immédiate ? L’histoire montre en effet qu’il peut exister bien pire que les partis d’inspiration populiste que nous connaissons, et qui forment autant d’antichambres de l’ère post-démocratique.

Le Monde

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