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On peut acheter des tests génétiques pour connaître ses ascendants biologiques. La sociologue Alondra Nelson a étudié la façon dont les Afro-Américains s’en emparent pour repenser leur identité.[…] Quand l’industrie des tests génétiques d’ascendance est apparue vers 2002-2003, il était évident qu’elle aurait un intérêt particulier pour les Afro-Américains: voilà que la génétique, une technologie de pointe souvent associée à une idée de précision et de vérité, semblait pouvoir répondre aux désirs nés de la dépossession de l’esclavage.

[…] Quand l’industrie des tests génétiques d’ascendance est apparue vers 2002-2003, il était évident qu’elle aurait un intérêt particulier pour les Afro-Américains: voilà que la génétique, une technologie de pointe souvent associée à une idée de précision et de vérité, semblait pouvoir répondre aux désirs nés de la dépossession de l’esclavage.

Les chercheurs créent des bases de données génétiques de référence. Pour savoir si vous avez des ancêtres au Niger, ils créent une base de données d’échantillons génétiques de gens vivant aujourd’hui au Niger, puis cherchent des correspondances entre vos marqueurs génétiques et ceux qui figurent dans la base de données. Il existe une autre méthode où les chercheurs construisent des catégories (Européen, Africain subsaharien, Indien d’Amérique…) à partir de la fréquence de quelques marqueurs génétiques dans certains groupes de population. Un algorithme détermine ensuite, en fonction de la présence de ces marqueurs, la probabilité que vous soyez originaire de tel ou tel groupe. C’est un système complexe, qui mêle statistiques, inférences et probabilités.

Beaucoup ont le désir très fort de retrouver une identité plus précise que celle d’être «Afro-Américain». L’Afrique est un continent, avec 52 pays, des centaines de groupes linguistiques, mais on utilise le terme «Afro-Américain» comme si c’était l’équivalent d’«Italo-Américain». Beaucoup de gens ont le sentiment qu’on leur a volé cette spécificité. Ils disent souvent: «Savoir qui l’on est et d’où l’on vient est un droit humain.» […]

Les sociologues ont été d’emblée très critiques sur ces tests, qui recréaient, selon eux, des catégories raciales et reproduisaient une vision très essentialiste de la race. C’est en partie vrai, mais cela présuppose que les gens recevraient les résultats des tests comme une définition figée d’eux-mêmes à laquelle ils se conformeraient. Or l’identité est un processus social complexe. Les gens intègrent les résultats des tests comme une composante possible de leur identité, comme les histoires de famille, les archives…

Quant au racisme scientifique, j’y pensais beaucoup au début de mon enquête. Mais les gens m’ont dit : «Nous savons qu’il y a un risque de racisme scientifique avec ces méthodes génétiques, mais elles peuvent aussi nous donner des informations que nous ne pourrions avoir autrement. Nous choisissons, en toute conscience, de courir le risque.»

En 2002, dans un procès historique, l’activiste Deadria Farmer-Paellmann a poursuivi en justice plusieurs multinationales ayant édifié en partie leur fortune sur l’esclavage, demandant réparation. Selon la loi américaine, les plaignants doivent prouver qu’ils sont les descendants directs des personnes ayant subi le préjudice pour que la plainte soit recevable. C’est un obstacle insoluble pour les Afro-Américains car dans la plupart des cas, les documents ont été détruits ou n’ont jamais existé.

Pour la première fois, dans ce procès, les plaignants ont utilisé les tests génétiques pour prouver leur lien de parenté avec d’anciens esclaves venus d’Afrique. Le tribunal a rejeté ces preuves comme insuffisantes, arguant qu’elles indiquaient un pays d’origine mais pas un lien de parenté avec un individu précis. Mais cette affaire a été un tournant : elle a montré que ces tests pouvaient être utilisés dans des luttes pour la justice sociale et la réparation d’injustices passées et présentes.

J’ai commencé cette recherche avant le mouvement Black Lives Matter, à un moment où il devenait difficile de faire entendre que le racisme était toujours bien vivant, qu’il affectait toujours les gens quotidiennement. Cela se traduisait entre autres par un discours affirmant qu’il fallait tourner la page de l’esclavage, passer à autre chose.

Les images filmées à Ferguson et ailleurs ont changé la donne: on ne peut plus nier l’existence du racisme quand on voit des gens se faire tuer sans avoir rien fait, comme Trayvon Martin. Mais avant cela, les tests génétiques ont été un élément important pour continuer de parler du passé et ses conséquences actuelles. Ces tests permettent de dire: «Si on se lance dans cette quête sur le passé, c’est parce que l’histoire de l’esclavage nous a privés de ces noms et cette généalogie.»

On peut considérer la généalogie comme une pratique légère et peu politique, mais en réalité, elle fait du passé quelque chose de très personnel : elle montre combien les individus vivent toujours avec un passé compliqué, que la généalogie remet en lumière.

Nouvel Obs

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