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Très controversés au Royaume-Uni, les « contrats zéro heure » – qui ne garantissent aucune sécurité d’emploi, ni de salaire – sont au cœur des élections britanniques. Reportage de notre série sur le côté obscur du Royaume-Uni.

« Je pensais que ça serait plus facile », confesse d’emblée Julie, une jeune Française de 21 ans, au visage poupon, arrivée au Royaume-Uni il y a deux mois. « J’aimerais vraiment rester ici, mais je suis épuisée », ajoute-t-elle en souriant comme si elle voulait cacher sa fatigue sous un voile de légereté. En foulant le sol britannique, Julie s’est rapidement familiarisée avec le fameux « zero hour contract », littéralement « contrat zéro heure », qui remporte autant de succès que de critiques.

Julie ne savait pas vraiment qu’en signant ce genre de papier, elle s’engageait à donner les pleins pouvoirs à son employeur. Pensé pour enrayer la hausse du chômage en offrant plus de flexibilité à l’entreprise, le « zero hour contract » – qui existe depuis de nombreuses années au Royaume-Uni – permet en effet d’embaucher un salarié sans qu’aucune durée de travail ne soit fixée dans son contrat. L’employé n’est donc rémunéré que pour les heures travaillées. Il doit pouvoir se rendre disponible à n’importe quel moment de la journée : il est en quelque sorte à la « disposition » de son employeur.

En matière de droit social, on a fait mieux. Jusqu’ici principalement destinés aux étudiants et saisonniers, ces contrats se sont généralisés à toutes les catégories d’employés britanniques et ont explosé au Royaume-Uni depuis la crise de 2008. Aujourd’hui, près de 1,5 million de Britanniques travaillent sous ce statut, soit quatre fois plus qu’en 2010, à l’arrivée de David Cameron au pouvoir.

« Ce contrat affaiblit le niveau de vie de la population, et compromet la vie de famille »

Aux yeux d’Ed Miliband, le chef du Parti travailliste, ils symbolisent à eux seuls le dérèglement économique et social du pays. Depuis plus d’un an, le Labour est en campagne vent debout contre ces contrats. A l’approche des élections du 7 mai, le patron des travaillistes, a mis les bouchées doubles pour les diaboliser. « C’est une épidémie et nous allons y mettre fin », a-t-il déclaré le 1er avril. « Ce contrat affaiblit le niveau de vie de la population, et compromet la vie de famille. Parce que si vous ne savez pas quel nombre d’heures que vous allez effectuer d’un jour à l’autre, comment pouvez-vous avoir de sécurité pour vous et votre famille ? », a-t-il plaidé.

Un discours qui colle parfaitement à la situation de Julie. Impossible en effet pour elle de s’organiser à l’avance : « Dans certains boulots, je recevais mon planning de travail le dimanche à minuit pour bosser le lundi à 7 h, avec des horaires aussi flexibles qu’imprévisibles. Du coup, mes salaires ont souvent varié. Parfois, je bossais à plein temps, parfois juste quelques heures par semaine. »

Au stress et à la fatigue s’ajoutent souvent les complications financières. « Il m’est arrivé de sauter des repas, que des collègues me payent un sandwich. Pas souvent, mais c’est arrivé », reconnaît Julie.

Chaque heure travaillée en « contrat zéro heure » est rémunérée au minimum 6,5 livres (9 euros). Bien en dessous du seuil du « living wage » (« salaire de vie », le minimum nécessaire pour vivre convenablement) estimé à 9,15 livres à Londres (13 euros).

Chez Itsu, une chaîne de restaurant japonais, pour qui elle a travaillé une semaine, elle gagnait 7 livres de l’heure (9,70 euros) : « Mieux que les boulots au black où j’étais payée 4 livres de l’heure. » Comme pour beaucoup de ses collègues, le salaire de Julie est avalé en quasi totalité par son loyer, exhorbitant dans la capitale britannique. « Je paye 325 pounds [450 euros] pour une moitié de lit que je partage avec une autre fille dans une coloc’ de 10 à Dalston [au nord-est de Londres] », annonce-t-elle en riant.

« Je trouve du boulot facilement »

Aussi décrié soit-il, le « zero hour », n’a pourtant pas que des détracteurs. Pour le parti conservateur, ce contrat « flexible » a permis d’enrayer la courbe du chômage et de la ramener sous la barre des 6 %. Un argument souvent mis en avant durant la campagne électorale pour souligner la reprise de l’économie britannique dont la croissance a atteint 2,8 % en 2014. Julie, contre toute attente, n’est pas insensible à cet argument. « Je ne suis pas totalement opposée à ces contrats. Grâce à eux, je trouve du boulot très facilement. Déja cinq en deux mois ! On me fait confiance, on me confie des responsabilités, il y a de bons côtés », explique Julie.

Adel, en revanche, manager dans un café, le « Polo bar », au cœur de la City, prie pour que le gouvernement y mette un terme : « Je m’ocupe d’une équipe de 10 personnes, tous embauchés sous ce contrat. Quand il y a peu d’affluence, je les renvoie chez eux. Parfois, je leur demande de rentrer au bout de deux heures, explique ce jeune Britannique de 25 ans. C’est pas juste, mais je n’ai pas le choix, j’obéis aux ordres. » Une lassitude que l’on retrouve chez Nacho, un Espagnol embauché depuis sept mois en « contrat zéro heure » dans un McDo situé entre les tours de la City : « Je préfèrerais avoir un planning fixe. Ça change toutes les semaines. Hier [samedi] c’était mon jour off, j’ai dormi toute la journée. J’étais épuisé. J’enchaîne horaires du soir, horaires du matin [pour un salaire de misère], explique-t-il. Ça m’angoisse, personne n’aime vivre comme ça, sans sécurité d’emploi. »

McDo, comme de nombreuses autres enseignes de fast-food au Royaume-Uni, raffole de ce genre de contrats. En 2014, le « Guardian » révélait que 90 % de ses effectifs dans le pays étaient des « employés zéro heure ».

Irene, serveuse dans le même restaurant que Nacho est plus confiante que son collègue. « J’ai un bon planning. Je travaille beaucoup. Je ne refuse jamais les heures supplémentaires. Si mon patron n’est pas content, c’est vrai qu’il peut réduire mes heures et réduire mon salaire. Mais si ce cas se présente, je chercherai autre chose ou je partirai », explique-t-elle sans lever les yeux des plateaux qu’elle nettoie.

Le départ. C’est également l’option que Julie commence à privilégier. « J’aimerais rester. Mais je me raisonne… L’autre fois, j’ai réalisé que je n’avais même pas eu le temps de visiter la ville ! Je suis ici depuis deux mois, et je ne connais que les trajets boulot-dodo », lâche la jeune fille emmitouflée dans son manteau, sans jamais se départir de sa bonne humeur. « Maintenant que je sais que je ne vais pas rester, je prends tout avec plus de légèreté. A part peut-être le fait de rentrer chez mes parents, en France… Ça peut être pire que la précarité ! »

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