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Bourrées de capteurs, les usines de demain seront connectées en permanence avec les produits qu’elles ont fabriqués. Objectifs : optimiser la maintenance et améliorer la qualité.

Schenectady, dans l’Etat de New York, sur la côte est des Etats-Unis a longtemps été « la ville qui éclaire et déplace le monde ». L’Edison Electric Company, ancêtre de l’actuel General Electric, et Alco, un fabricant de locomotives aujourd’hui disparu, y ont eu sièges sociaux et usines. La cité brille à nouveau grâce à une unité ultramoderne dans laquelle GE a investi 170 millions de dollars (125 millions d’euros) : sur 18.600 mètres carrés, quelque 400 salariés – dont certains dotés de tablettes tactiles pour piloter opérations d’assemblage, maintenance et approvisionnements – produisent 25 à 50 batteries Durathon par semaine. Ces accumulateurs, vendus plus de 15.000 euros pièce, servent d’alimentation de secours à des hôpitaux, des antennes de téléphonie mobile, etc.

Particularité : les capteurs qui équipent ces batteries auscultent leur fonctionnement en permanence et renvoient ces informations… directement à l’usine. Là, les données sont analysées, grâce aux techniques du « big data », pour repérer les éventuels défauts de conception, les composants défaillants, les erreurs d’assemblage, les mauvaises conditions (température, humidité…) de fabrication. L’usine est en effet dotée, elle aussi, de centaines de capteurs qui enregistrent tout ce qui s’y passe et qui a fait quoi.

Après trois phases d’évolution majeures (machine à vapeur, électricité et automatisation), l’usine de demain sera donc « 4.0 ». « Avec les usines intelligentes et connectées, nous sommes en train de vivre un changement de paradigme aussi important que celui de la chaîne de production d’Henry Ford, avertit Stephan Biller, directeur scientifique de la recherche chez GE pour les technologies manufacturières. L’information en temps réel va révolutionner l’industrie manufacturière, dans tous les secteurs. »

Cisco, IBM, Intel aux Etats-Unis, Siemens en Allemagne, des start-up et des laboratoires français, sans parler des cabinets de conseil en organisation, travaillent sur cette usine du futur et ses équipements, en particulier ses capteurs qui devront être de plus en plus intelligents, miniaturisés, communicants et autonomes en énergie. Les retombées sont de deux ordres : l’amélioration de la maintenance de l’outil de production et des machines fabriquées, mais aussi l’amélioration des objets produits.

Intervenir en prévention,…

« Les techniques d’analyse prédictive sont utilisées depuis longtemps pour prévoir les comportements des consommateurs, gérer les risques ou réduire la fraude », rappelle Hervé Dhelin, responsable des solutions d’analyse prédictive chez IBM France. Désormais, les entreprises s’intéressent à l’analyse prédictive opérationnelle : quelle est la probabilité que, dans mon usine, telle machine-outil tombe en panne, en fonction des paramètres recueillis par les capteurs ? Quelle est la probabilité qu’il faille changer les pales de telle turbine, que j’ai livrée à tel endroit du monde et dont les capteurs renvoient taux de vibration ou température ?

Intervenir en prévention permet de planifier la maintenance pour que la production en souffre le moins, d’éviter les pannes et donc les pertes financières liées à toute interruption prolongée d’une chaîne de fabrication. Chez le client, cela permet d’augmenter le taux de disponibilité du matériel, mais aussi de préacheminer les pièces de rechange nécessaires et d’éviter ainsi des livraisons en urgence. « Dans plusieurs Marines nationales, les navires emportent les pièces qui ont statistiquement le plus de probabilité de casser et augmentent ainsi leur temps à la mer », détaille Hervé Dhelin.

Pour l’amélioration des produits fabriqués, les entreprises font appel au « data mining » pour rechercher des corrélations impossibles à établir autrement. Grâce à l’analyse des données fournies par les capteurs de ses usines et aux « tags » (étiquettes électroniques) qui permettent de suivre à la trace ses produits sur la chaîne de fabrication, un grand constructeur de motos, confronté à la mauvaise qualité de ses engins, a découvert qu’il fallait modifier les conditions de température et d’hydrométrie lors de l’installation du carburateur.

Cette nouvelle utilisation pousse les entreprises à installer des capteurs partout : dans son usine d’Huntsville (Alabama), Raytheon sait désormais combien de tours ont été donnés aux vis qui assemblent les missiles de l’armée américaine. Airbus songerait à mettre des capteurs sur les tournevis électriques de ses techniciens…

… réduire les délais de conception

A moyen terme, les projets les plus ambitieux veulent associer, dans une seule boucle numérique, toutes les informations « produites » par les spécialistes de l’ingénierie des usines, les concepteurs des produits fabriqués, le personnel de production, les sous-traitants, les transporteurs, les consommateurs, les organismes de récupération… Tous les acteurs impliqués dans le cycle de vie d’un produit participeront à son amélioration, mais aussi à celle de l’usine d’où il sort. « Connectés, tous ces acteurs pourront plus rapidement échanger leurs retours d’expérience ou leurs remarques : cela permettra, entre autres, de réduire les délais de conception des nouveaux produits », prédit Stephan Biller. « Avec toutes ces données, on pourra aussi, par exemple, déterminer avec beaucoup plus de précision les meilleures localisations des nouvelles usines en fonction des conditions climatiques, des coûts d’approvisionnement, de livraison, des habitudes de consommation… » résume Ruben Gil, directeur chez AspenTech, un fournisseur de logiciels pour les industries de process (chimie, pharmacie…). Bien sûr, d’autres considérations interviendront : il peut être intéressant d’implanter une usine polluante dans un pays éloigné des lieux de consommation, mais tolérant plus d’émissions de C02…

A long terme, cette boucle numérique devrait permettre la personnalisation des produits. « En s’affranchissant d’une organisation en silo (fournisseurs, domaines d’activité, types de matières premières…) [pourra-t-on] apporter des offres de personnalisation inenvisageables à ce jour tout en réduisant les coûts ? » s’interroge, dans le dernier « Bulletin électronique Etats-Unis », Marc Daumas, de l’ambassade de France à Washington. Lorsque vous recevrez votre nouveau smartphone, vos applications préférées y auront déjà été téléchargées…

Plusieurs concepts

Connected factory : usine connectée, utilisant les données de ses capteurs, mais aussi les informations renvoyées par les objets qu’elle a produits et par ses sous-traitants pour améliorer ses process.

Data-driven manufacturing (ou smart manufacturing : utilisation des données fournies par les capteurs d’une usine pour optimiser l’utilisation de ses machines-outils et de ses robots.

Industry 4.0 : concept et programme de recherche allemands pour des usines dites « intelligentes » (« smart factories »). capable d’une plus grande souplesse dans la production et d’une gestion plus efficace des ressources.

Industrial Internet : utilisation d’Internet pour récupérer de l’information depuis des machines, des objets ou des capteurs, les analyser et les utiliser pour ajuster en temps réel tout processus industriel (fabrication de produits, collecte de déchets, transport de marchandises…).

Les Echos

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