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Le sociologue Frédéric Monneyron développe les raisons d’une sous-représentation des Noires et des Asiatiques dans les défilés qui perdure. La Fashion Week new-yorkaise a réveillé un vieux serpent de mer. Tandis que certains créateurs ont fait part de leur souhait de voir davantage de diversité sur les podiums, les défilés restent majoritairement unicolores. Les brindilles élancées, blondes à châtain clair sur peau blanche, dominent depuis plus de 40 ans et l’arrivée de la tornade Twiggy. 

Face à ce constat, des anciennes mannequins noires s’étaient déjà alarmées en 2013. Le combat des tops de légende Iman Bowie, Naomie Campbell et Bethann Hardison a-t-il porté ses fruits ? Derrière les success story des Jourdan Dunn et Joan Smalls se cache-t-il un racisme systématique ?
Entretien avec Frédéric Monneyron, sociologue de la mode et auteur de La Frivolité essentielle et de La photographie de mode : un art souverain, aux Presses universitaires de France.
Depuis plusieurs années, des mannequins noires ou originaires d’Inde ou d’Asie de l’Est ont dénoncé un milieu raciste, dans lequel elles sont réduites à une présence symbolique. Les mannequins non-blanches sont-elles victimes de discriminations ?
Frédéric Monneyron : Je ne suis pas convaincu qu’il soit pertinent d’accuser le monde de la mode d’être foncièrement raciste. Je ne pense pas qu’il y ait de blocages vis-à-vis des mannequins non-blanches. Les couturiers ne s’interdisent pas de faire appel à elles, comme Rick Owens en 2013, quand il a présenté sa collection avec des mannequins aux physiques très différents, dont une majorité de femmes noires.
Souvent, les créateurs pensent d’abord à employer des modèles qui correspondent à l’idée qu’ils se font de leur collection, indépendamment de la couleur de la peau des modèles. Courrèges et Ungaro, pour n’en citer que deux, ont introduit des mannequins africains vers la fin des années 60 et le début des années 70, dans le sillage d’Yves Saint Laurent, le pionnier.
Cela fait donc au moins 40 ans qu’il existe de la diversité raciale sur les podiums, ou du moins qu’existe la possibilité de voir défiler des mannequins non-blancs. A la fin des années 70, ou dans les années 90, époque à laquelle la Sud-Soudanaise Alek Wek triomphait, les mannequins noires étaient d’ailleurs à la mode. Or, dans les années 2000, cela ne fut plus le cas, [la preuve en chiffres dans cet article de 2013 (en anglais)], alors qu’à l’inverse, nous avons vu une augmentation du nombre de mannequins issus du continent asiatique. Il y a aussi des effets de mode.
Au cours d’une Fashion Week à New York, le site Jezebel a calculé que près de 79% des modèles étaient blanches. Comment expliquez-vous une telle sur-représentativité ? 
Il faut surtout noter que les critères de beauté sur lesquels s’appuie l’industrie de la mode sont des critères européens, occidentaux. L’impérialisme occidental est aussi un impérialisme esthétique dès lors que l’Occident a imposé ses codes esthétiques à toute la planète, avec des réelles conséquences, comme le phénomène du débridage des yeux en Asie ou le blanchiment de la peau, notamment en Afrique.
Il est intéressant d’observer d’où sont originaires les célèbres tops noires. Il se trouve que beaucoup d’entre elles viennent d’Afrique de l’Est, comme la Somalienne Iman Bowie, par exemple. Or, au 19e siècle, les Occidentaux clamaient que ces populations avaient du sang blanc et de ce fait, ils les considéraient comme plus nobles que les autres populations du continent africain, avec qui ils disaient partager moins de traits physiques.
Encore aujourd’hui, la plupart des mannequins ont les cheveux lisses, par exemple. C’est la preuve que l’Occident a un mal fou à intégrer des critères de beauté qui lui sont étrangers. Ajoutez à cela le fait que les siens se sont imposés partout, vous obtenez la certitude qu’il faudra du temps pour qu’ils évoluent, quand bien même les sociétés occidentales sont de plus en plus diverses et métissées.
Dans les années 70, les Noirs américains avaient lancé le slogan “Black is beautiful“, pour s’élever contre ces modèles de beauté standard blancs, mais force est de constater qu’ils sont encore dominants aujourd’hui.
La diversité ne manque-t-elle pas chez les créateurs eux-mêmes, majoritairement blancs et moins enclins à s’emparer du sujet ?  
C’est possible. Mais prenons l’exemple des créateurs japonais, sur la scène de la mode depuis de nombreuses années : ils n’ont pas travaillé différemment des Européens. Ils se sont, comme les autres, inscrits dans le contexte d’une mode basée sur des critères occidentaux. Chez Kenzo ou Yohji Yamamoto, les touches esthétiques attribuées à l’influence japonaise sont limitées. L’Occident a imposé ses codes à l’ensemble de la planète, au niveau du vêtement et de l’esthétique qui s’applique au corps des mannequins. D’ailleurs, en parlant de diversité, on se place d’un point de vue occidental. […] Suite sur France TV Info

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