Fdesouche

Amel Boubekeur, sociologue spécialiste de l’islam en Europe et chercheuse associée au Centre Jacques-Berque, à Rabat, au Maroc, analyse les conséquences de l’attentat contre Charlie Hebdo. L’événement ne va-t-il pas accélérer une islamophobie qu’ils dénoncent ? Quel rôle incombe aux institutions religieuses musulmanes face aux intégristes ?

De dire depuis dix ans que l’islam pose problème en France pousse certains musulmans à se placer dans une logique de rejet de la société. Les effets de ce discours sont réels.

Que dire des revendications des assaillants qui affirment avoir vengé le prophète Mahomet ?

Même si l’islam dénonce toute forme de violence, ces terroristes sont convaincus qu’ils agissent au nom du prophète. Mais d’autres raisons expliquent leur passage à l’acte. J’ai rencontré, en 2004, le groupe de jeunes musulmans parisiens liés à la filière irakienne dite des Buttes-Chaumont, qui a valu une condamnation à Chérif Kouachi et dans laquelle est apparu le nom de son aîné Said. Pour eux, il n’y avait pas d’autre voie que celle de la confrontation violente pour se faire entendre, pour se faire “respecter”. Pour eux, ne plus être en position de “dominés” était plus important que de défendre l’image du Prophète.

Peut-on dire que les auteurs de l’attaque de Charlie Hebdo ont profané l’islam ?

Si l’on veut être digne de l’idéal républicain on ne doit pas associer ces barbaries à l’islam. Mais il est important aussi que les musulmans prennent en charge les problèmes liés à l’interprétation religieuse souvent catastrophique des plus instables d’entre eux.

La communauté musulmane de France est-elle condamnée, comme l’affirment certains, à rester entre deux feux : celui du fanatisme et celui de la “fachosphère” ?

Elle ne doit pas se soumettre au diktat de la “fachosphère”, qui lui impose de se justifier en tant que minorité, excentrée de la communauté nationale. Les citoyens musulmans sont comme les autres unis contre le terrorisme. Reste qu’il faudra à l’avenir concilier deux mondes. Celui où les gens vivent ensemble sans problème, y compris en banlieue, et celui des médias qui, lui, nourrit le ressentiment et l’islamophobie. […]

Quel discours doit être porté par les organisations musulmanes ?

Après cet événement, et c’est positif, les responsables musulmans et les musulmans eux-mêmes auront certainement moins peur d’intégrer le débat public, d’expliquer leurs positionnements, qui sont multiples. La peur ne doit pas nous empêcher de penser la France comme une nation plurielle. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de musulmans ont posté “Je suis Charlie”. Ils ont aussi posté “Je suis Ahmed” du nom du policier assassiné, pour dire que l’on peut défendre la France sans que la religion soit un problème.

Doivent-elles envoyer un message clair aux fondamentalistes religieux ?

Elles sont désemparées face à ce phénomène. Sur le terrain, les imams viennent pour beaucoup de l’étranger et ont une connaissance assez pauvre des racines de cette radicalisation. Reste à dépasser la schizophrénie dans laquelle l’État républicain installe l’imam afin qu’il puisse avoir un rôle plus large tout en garantissant notre mode de fonctionnement laïc.

Peut-on critiquer l’islam ?

Il est déjà critiqué et les musulmans s’en accommoderont d’autant plus s’ils sont invités au débat. Leur exclusion est en revanche, elle, assurément le moteur de la radicalisation.

Le Point

Fdesouche sur les réseaux sociaux